L' EPOPEE D'UNE TRIBU - SUITE 3

L'EPOPEE D'UNE TRIBU REBELLE


LES J'RAMNA ( page 3 )

 

Leurs campements préférés sont à Derdj, près de Ghadamès, ou sous la garnison de Mourzouk. L'arrivée des Italiens bouleverse un équilibre précaire. C'est ce qui explique, à notre avis, la demande d'aman de 1912. Puis les opérations s'enlisant,l'émigration en Algérie apparaît moins urgente. Mais la prise de Ghadamès en avril  1913 prive les J’ramna de leur base traditionnelle. Les négociations reprennent donc. Dès le début de l'année suivante, les bruits d'occupation de Mourzouk et de Ghat se précisent, d'où les contacts de mars 1914 qui se traduisent par le  mouvement de la tribu vers le Sahara algérien en juin 1914.

  L'arrêt de cette émigration eut pour cause, certainement, les dissentions entre les chefs. Mais   l'abandon de Ghadamès parles Italiens, en novembre 1914, en fut sans doute la raison principale (52 .) Nouveau coup de théâtre, l'Italie entre en 1915 dans la guerre européenne. Rapidement, elle abandonne les postes de l'intérieur. Mourzouk, Ghat, Ghadamès deviennent l'enjeu d'une compétition entre Turcs et Senoussistes. Les J’ramna après avoir un moment rallié le camp des Turcs qui tentent de retrouver leur influence, passent, avec les Imanghassaten, sous la bannière du Senoussi, qui permet de fructueux rezzou.

 Il semble qu'à partir de cette période de troubles, la tribu, jusque là bien groupée, se divise en  plusieurs fractions qui tentent chacune leur chance. Ontrouve ainsi des J’ramna n avril 1916, dans la Harka d'Ahmed Zerroug,Caïmakan de Ghadamès pour le compte des Senoussistes, en compagnie d'Ifoghas (53)C’ est ce même groupement sans doute qui est signalé en février 1917(J’ramna -Ifoghas) campant au puits de Nahia54.Une autre fraction suit le Sultan Ahmoud, l'ex-maître de Djanet, qui livre de sanglants combats sous Fort Flatters en mai 19 1755.Mais la suzeraineté des Senoussistes pèse de plus en plus aux J’ramna

D'abord ils doivent l'impôt : 1 chamellon pour 20 chameaux et une chèvre pour 5 chameaux. Ensuite ils les voient avec irritation se mêler de leurs affaires personnelles. A la suite d'un meurtre commis par un jermani de ses cousins une amende de 180 chameaux est imposée, ce qui diminue d'autant le patrimoine de la tribu.Il est difficile de dire dans quelles conditions les J’ramna abandonnerent les

Senoussistes. Leur tradition orale déclare que ce fut à la suite du décès de Si Ali Lecheb, oncle de Si Labed. Ce dernier, frère cadet du chef de la Senoussyia,contrôlait le Fezzan et le sud Tripolitain. En décembre 1917, les J’ramna se retirent vers la frontière tunisienne, à Ouezzen, à 200 km au nord de Ghadamès,dans une région échappant à l'emprise Senoussiste. Quelqu'ait été le motif de la  52. Ghadamès devait être réoccupé en février 19 15 puis abandonné i nouveau en juillet dela même année.

53. 16 H 70 — Répertoire des Chefs Senoussis en Tripolitaine.

54. 23 H 1 - Rapport mensuel des Territoires du Sud, février 1917.

55. 23 H 1 - Rapport mensuel des T.D.S. - Mai 1917.

A leur rentrée, les Djeramna devaient nier toute participation à cette opération, et reconnaître uniquement deux rezzou contre les Chambaa.volte face, dès septembre 1917 des contacts sont pris avec un Caïd du Territoire de Touggourt en vue d'une éventuelle soumission aux Autorités Françaises. Mais en février 1918, on les signale au Fezzan. Sans doute n'est-ce qu'une fraction de la tribu et son isolement la met à la merci de ses nombreux ennemis : 200 chamelles lui sont enlevées à Hassi Nehaîa par des Ajjer et des Fezzanais.

Trois des siens sont tués à cette occasion56. Cette hostilité amène les J’ramna à se regrouper sous les murs de Ghadamès, en se rapprochant encore plus des fractions Ifoghas que commande Hadj Ahmed Ben Ahmed. L'avenir apparaît si sombre aux J’ramnarenouvellent en avril leur demande d'aman (57) Alger etOuargla étudient à nouveau la question, ce qui nous vaut un rapport assez complet sur la tribu58. Celle-ci comprend à cette époque 90tentes. Elle dispose de 150 fusils, chiffre qui peut être porté â 200 si on arme les bergers et les nègres. Elle possède 800 chameaux et 8 000 moutons. Elle s'est scindée en deux fractions ; celle du Fezzan, les Ouled Sidi Slimane (razziée à HassiNehaîa), comprend 30 tentes, 70 fusils, 300 chameaux et 3 000 moutons. Elle est commandée par le vieux SiTayeb, un survivant des événements de 1881. La seconde, celle des Ouled Maamar, commandée par El Hadj Abderrahmane, vit  utour de Ghadamès, et plus particulièrement à Derdj. Elle compte 60 tentes,80 fusils, 500 chameaux et 5 000 moutons.

Les Autorités françaises, désireuses de régler une fois pour toutes la question, font des propositions avantageuses : le prix du sang (6 000 F), fixé en 1914, est abandonné. C'est le pardon pur et simple. Les J’ramna peuvent rentrer lorsqu’ils le désirent. On leur promet également de respecter leur cadre de tribu indépendante et de leur conserver leurs chefs. Bien mieux, pour leur faciliter le passage, leMinistre français des Affaires Etrangères obtient de son collègue italien l'assurance que les autorités locales ne s'opposeront pas au transfert, à condition que ce dernier s'effectue en bloc

56. 23 H 1 — Rapport mensuel des Territoires du Sud

57. De la part du Cheikh El Hadj Abderrahmane des J’ramna à Monsieur le Commandant

Supérieur d'Ouargla.

Après les compliments d'usage . . .

Nous nous trouvons ici dans une situation extrêmement pénible car les habitants du pays

ayant appris que nous, Tribu des j'ramna, avions l'intention de retourner dans votre région,

nous avons à endurer beaucoup de mal et de dommage de la part de nos voisins immédiats et

de toute la population de l'endroit Ces gens, en effet, sont toujours dans l'agitation.

Précédemment les Jramna n’étaient disposés à vnir vers vous, mais quand ils m'on vu

déterminé et résolu, ils se sont à leur tour décidés à me suivre.

Nous faisons en ce moment nos préparatifs de départ, et, s'il plait à Dieu, d'ici peu nous

arriverons. Salut.

Sachez que nous sommes capables de tenir ce pays, Territoire et habitants, [comme on

tient un cheval par la bride].

Salut. A la date du 28 Djoumada second.

El Hadj Abderrahmane des J’ramna

 Alors que tout semblait réglé, les J’ramna font traîner les négociations.Cette versatilité des Jramna   allait sans Susciter de vigoureuses critiques chezcertains officiers. L'attitude du Commandant Fournier, Commandant supérieur du Cercle de Touggourt est nette. Le 7 octobre 19 19, il écrit : "Les J’ramna se moquent de nous", et de relever les quatre tentatives de 1906, 1910, 1914 et 1918, accompagnées, chaque fois, de concessions plus larges de notrepart. Pour lui, les J’ramna étaient irrécupérables et leurs instincts pillards ne feraient que jeter la perturbation dans les tribus tranquilles60. Mais il reconnaissait lui-même que l'administration supérieure était loin de partager son point de vue. Il devait, lors des négociations de 1923, répéter sans succès cette mise en garde.

Les faits semblaient, pour l'instant, lui donner raison. Le danger passé et les chameaux reposés, les J’ramna retrouvent leur existence de naguère. En octobre 1919, les hommes partent en caravane pour Ghat et le Soudan, reprenant le rythme du commerce saharien interrompu par les hostilités. Bien mieux, il semble que la belle vie doive reprendre comme avant. Les J’ramna font à nouveau équipe avec les Imanghassaten et en septembre 1919 ils razzient quatre troupeaux de chameaux appartenant aux Chambaa d'El Oued et aux Achèche. Et c'est le contre rezzou dont font les frais les troupeaux de l'Oued Chiatti, appartenant à des Fezzanais et des gens de Ghadamès. Ceux-ci en demanderont vainement la restitution aux autorités françaises de Fort Flatters, puis d'Ouargla61. L'année suivante 26 J’ramna des Ouled Sidi Slimane font partie de la harka de 700 fusils qui attaque le Goum d'El Oued, tuant 26 mokhazni à Ghourd Loucif  .

Néanmoins, la belle période est bien finie. Le retour annoncé des Italiens et sans doute l'hostilité croissante des tribus fezzanaises, victimes indirectes de leurs exactions, amènent des groupements tenus pour irréconciliables à négocier avec les autorités françaises.

En juillet 1921, Ifoghas et Imanghassaten s'approchent de l'annexe des Ajjer et entament des pourparlers. Le Chef J’ramni El Hadj Abderrahmane, qui devait y prendre part, s'égare dans le désert et meurt de soif. Mais en août, de nouveaux délégués sont réunis à Djanet autour du chef d'annexé. Une fois de plus les pourparlers tirent en longueur, mais sans qu'il soit question de rompre63. En mars 1923, un goum français en nomadisation rencontre à Messaouda, dans l'Erg, au Nord-ouest de Ghadamès, des tentes J’ramna et Imanghassaten, qui l'assurent de leurs sentiments  pacifiques  (64)

 

64. Rapports mensuels — Peut-être ces tentes sont-elles celles qu'un rapport de juin 1924 présente comme réfugiées en Territoire algérien. Notons i ce propos la réflexion du Commandant Fournier, de Touggourt : "j’ramna, Imanghassaten et autres, viennent annoncer des négociations, soit de paix, soit de soumission, périodiquement, lorsque la nécessité les chasse de l'arrière-pays et les oblige i vivre quelque temps i notre portée. Ils se sont rendus compte de ongue date que pendant ces pourparlers nous observons scrupuleusement la neutralité la plus bienveillante, leur donnant ainsi la tranquillité d'esprit dont ils ont besoin pendant cette périodedifficile. Puis lorsque l'arrière-pays est devenu habitable, ils reprennent le large, rompant toute négociation et parfois emmenant le butin de quelque razzia d'adieu faite chez nous".


 En réalité, l'arrivée des Italiens à Ghadamès, réoccupé au début 1924, rend plus urgente une décision de leur part. Mais il est non moins évident que les J’ramna hésitent toujours à franchir le pas. Ils se ralient donc à une solution d'attente.Les Ouled Maamar, qui nomadisent autour de Ghadamès font soumission aux Italiens. Certains passent même à leur service. L'un d'eux, Maamar el Haïdoug devient l'homme de confiance du Commandant de la place. Les Ouled SidiSlimane, de leur côté, continuent au Fezzan leur existence indépendante. En novembre, les Italiens occupent Derdj, ce qui met désormais les Ouled Maamar à leur merci. Leur chef est intronisé Moudir (Caïd) par les autorités de Ghadamès,qui lui accordent une solde mensuelle de 500 lires. En revanche, les siens doivent fournir des chameaux pour les transports et payer l'impôt (8 lires par chameau, 2 par mouton, 1,5 par chèvre).

Mais un concours de circonstances dû à l'inconfortable position de la tribu, dont une fraction est ralliée aux Italiens et l'autre, celle des Ouled Sidi Slimane, indépendante, va obliger les J’ramna à prendre la décision définitive. En 1925, un rezzou de dissidents tripolitains avait enlevé des troupeaux sous le nez de la garnison de Ghadamès. Celle-ci organisa aussitôt un contre rezzou, auquel prirent part des J’ramna ralliés. Ce contre rezzou atteignit la zone du Fezzan où nomadisaient des tribus insoumises, et en particulier les Imanghassaten et les J’ramna Ouled Sidi Slimane, et y razzia 300 chamelles, en évitant soigneusement d'enlever celles qui appartenaient aux Ouled Sidi Slimane. Ce ménagement fit  naturellement accuser ces derniers de connivence avec les Italiens et ils furent mis en demeure de remplacer les bêtes volées. Certains étaient d'avis de le faire, mais la majorité préféra cette fois passer en Territoire algérien, étant donné que la situation respective des deux fractions ne pouvait que multiplier les incidents de cet ordre.

Il fallait toutefois opérer dans le secret et éviter d'alerter l'attention de ceux qui se considéraient comme leurs créanciers. Les J’ramna firent mine de reconnaître la dette et donnèrent à la fraction Imanghassaten qu'ils suivaient depuis près de 20 ans, victime elle aussi du rezzou, cinquante chameaux pour lui permettre de partir à la recherche de nouveaux pâturages. Sitôt les derniers trainards disparus â l'horizon, la tribu leva précipitamment le camp et à marches forcées prit la direction du Sud-Ouest.

Le 29 juillet 1925, l'adjudant-chef, commandant Fort Polignac, voyait arriver deux mehara montés par des J’ramna, envoyés en avant garde, qui lui demandaient l'autorisation pour leur fraction de passer en Territoire français. Les parlementaires avaient en main la lettre du Lieutenant Gieu, du Territoire d'Ouargla, leur accordant l'aman en 1919. Une trentaine de tentes comprenant 200 personnes et conduisant 1000 chameaux attendaient leur retour.

Djanet, contacté, envoya un Officier sur place et ce dernier put constater l'impatience manifestée par les messagers et leur désir de s'abriter assez profondément en Territoire Français pour échapper au ressentiment, disaient-ils, de leurs anciens alliés, Zentanes, Rejbanes, etc ...Satisfaction leur fut donnée, bien que l'argument n'ait guère été pris au sérieux, car on ignorait encore l'affaire du contre rezzou italien. Les autorités françaises crurent à un vol de chameaux, mais s'étonnèrent de ne recevoir aucune plainte des Fezzanais par la suite.Les J’ramna Ouled Sidi Slimane furent donc regroupés à Ed-Ihan, à 60 km à l'ouest de Fort Polignac. Selon une statistique, aussitôt dressée, la fraction comprenait :

— 37 tentes - — 8 "domestiques", probablement des esclaves noirs.

— 44 hommes - 50 femmes - 80 enfants

Elle possédait 44 fusils italiens. Son cheptel se composait de 920 chameaux, 180 moutons et chèvres et d'un cheval. La médiocrité du troupeau d'ovins et de caprins provenait à la fois d'une consommation abusive, faute d'autres ressources,et des pertes subies pendant l'expédition de retour. Le problème du ravitaillement de cette population se posait, mais sans présenter de caractère angoissant. Une caravane fut envoyée à Djanet, une autre à Tatahouine, pour acheter des dattes. C'étaient les marchés les plus proches de ceux auxquels elle avait l'habitude de se rendre puisque Ghat et Ghadamès lui étaient désormais interdits. Mais le choix de Tatahouine avait semble-t-il d'autresraisons.L'alimentation quotidienne réglée, des questions d'un autre ordre se posèrent.

D'abord le cas de trois membres de la fraction, encore à Ghadamès. Les J’ramna demandèrent aux autorités françaises d'intervenir auprès des Italiens pour qu'il leur soit permis de rejoindre les leurs, ce qui fut fait. Ensuite, car il faut bien qu'un élément comique se glisse dans les affaires les plus sérieuses, on évoqua le cas d'Abd el Kader Fromage. Ce dernier était un Mekhadma déserteur, d'où sonsurnom récolté lors de son passage au Makhzen d'Ouargla ; il avait épousé une Jermania et tous le considéraient désormais comme un des leurs. A ce titre, il devait avoir droit à l'aman pensaient-ils. Une correspondance officielle s'engagea donc. Notes confidentielles, voire télégrammes chiffrés, rappelèrent aux hautes autorités françaises, l'existence de Fromage et ses malheurs. Nous ignorons la décision finale, mais des suggestions émises, on peut préjuger que Fromage put continuer à vivre en paix au sein des Djeramna. Le choix de Tatahouine, comme lieu d'achat de dattes, n'était pas fortuit, comme nous l'avons dit. C'est là que devait se faire la liaison entre les J’ramna Ouled Sidi Slimane, déjà rentrés, et leurs frères, les Ouled Maamar, toujours campés vers Ghadamès. Le 17 octobre, le Goum Saharien de Tunisie y recevait la visite de huit J’ramna Ouled Maamar, convoyant 94 chameaux. Ils se présentaient comme les précurseurs de la fraction. Les animaux vendus, ils repartirent munis de tous les renseignements nécessaires.

Entre temps, le commandant italien de Ghadamès, qui n'avait guère apprécié le départ subit des J’ramna Ouled Slimane, avait pris des mesures, sinon pour interdire, puisque les deux Gouvernements étaient d'accord, mais au moins pour freiner les velléités de retour des J’ramna de Ghadamès. D'abord la fraction avait été désarmée, ce qui n'était d'ailleurs guère habile ; ensuite on lui avait interdit lespâturages d'Hassi Imoulay, jugés trop proches de la frontière. La fraction nomadisait donc dans la région de Bir Zoghar, attendant une occasion. Par la suite, elle fut consignée dans la région de Derdj. Si l'on en croit leurs plaintes, les J’ramna passèrent alors des mois pénibles. Gardés par des Ascaris "Ethiopiens", en butte aux réquisitions administratives abusives, condamnés systématiquement lors de leurs conflits avec d'autres tribus, ils furent, au printemps 1926, rejetés vers le Nord, dans la région de Nabout, au milieu de populations hostiles. Là, les J’ramna, tout en protestant de leurs bonnes intentions, préparèrent leur fuite.D'abord ils se débarassèrent de tous les chameaux razziés en territoire algérien, qui auraient pu leur créer des difficultés avec les Chambaa. Puis ils vendirent la majeure partie du petit chaptel, chèvres et moutons, incapable de suivre un train soutenu.Une maladresse italienne (réquisition abusive de chameaux) les décida définitivement. Profitant de l'absence momentanée de ses gardes éthiopiens, la fraction levait le camp et gagnait à marches forcées la frontière tunisienne qu'elle franchissait le 3 mai 1926.

Cette fraction fut aussitôt désarmée. Mais elle ne possédait plus que quatre fusils, échappés aux contrôles italiens. Composée de 28 tentes, elle groupait 45 hommes, 32 femmes et 81 enfants. Son cheptel comprenait 700 chameaux et 150 moutons ou chèvres; elle n'était malheureusement pas au complet. Trois des siens engagés au Makhzen de Ghadamès, avaient pu déserter à temps et la rejoindre. Mais un quatrième avait été aussitôt jeté en prison. Enfin, la famille du nommé Maamar, soit quatre hommes, huit femmes et neuf enfants, était retenue par les Italiens qui l'avaient frappée d'une amende de 4 000 lires. Là encore l'administration française devait intervenir et finalement les choses s'arrangèrent. Les Ouled Maamar ne pouvaient, pour de multiples raisons, rester en Territoire Tunisien. Il leur fut accordé 25 jours pour procéder aux préparatifs de départ en vue du long voyage qui devait les conduire dans le territoire des Oasis.

L'itinéraire retenu avait été Bordj Leboeuf — Bir Aouin — Larache. Heureusement une reconnaissance faite à temps prouva que les points d'eau étaient insuffisants pour cette masse de gens et de chameaux. On lui en substitua un autre, plus long,qui contournait l'Erg par le nord, mais plus sûr : Bir Amir, Bir Touil, Bir Choueya,Chabet Hennia Khechba, où ils arrivèrent du 7 au 10 août. Là un repos de trois semaines leur fut accordé; la fraction avait couvert près de 400 km depuis Nalout, sans perte d'animaux.II ne restait plus qu'à regrouper la tribu, lui assigner des terrains de parcours,l'affecter à une annexe ou à un cercle et lui donner enfin un chef officiellement investi par nous.Lors des premiers contacts de 1912, le voeu émis par les J’ramna était de revenir sur les lieux que leurs pères avaient dû quitter en 1881, c'est-à-dire la région d'El Abiod Sidi Cheikh dans l'annexe de Geryville. Mais depuis les jeunes,nés en Tripolitaine, avaient grandi et le retour au pays des ancêtres les laissaitassez froids.

La tribu préférait, semblait-il, vivre dans le Sahara Oriental. D'ailleurs certains faisaient remarquer, à juste titre, que les chameaux, habitués à la hamada s'acclimateraient mal dans l'Erg. Les J’ramna ne tenaient pas non plus à séjourner dans l'annexe des Ajjer, car ils déclaraient mal s'entendre avec ces derniers, ce qui était compréhensible étant donné le tour qu'ils avaient joués à leurs amis Imanghassaten.

De son côté, le Chef du Territoire des Oasis proposait leur affectation à l'annexe d'Ouargla, et ce pour des raisons économico-administratives. Une tribu possédant un tel cheptel camelin arrivait à point. En effet, de mauvaises conditions atmosphériques avaient sérieusement éprouvé les troupeaux locaux. Les services officiels (courriers, transports de ravitaillement) n'étaient assurés qu'avec beaucoup de difficultés. Les 4 000 chameaux des J’ramna devaient permettre de régler pas mal de problèmes.

Arrêtons-nous un moment sur ce chiffre. Il figure dans trois rapports successifs de l'annexe de Ouargla. Or, si nous nous en tenons au dénombrement de 1925 (rapport du 16 septembre) effectué par le Lieutenant Habert, de Fort Polignac, nous voyons que les J’ramna Sidi Slimane du Fezzan possèdent 920 chameaux et les Ouled Maamar de Ghadamès 500 (approximation sur renseignements). Ce dernier chiffre de 500 pour les Ouled Maamar est porté à 700 dans les rapports d'Ouargla de 1926. C'est donc que le cheptel des Ouled Slimane serait passé de 920 à plus de 3 000 en moins d'un an ? 71 Si le chiffre donné de 4 000 chameaux paraît quelque peu gonflé, il est certain que les J’ramna possédaient un cheptel important. D'où le premier problème : où faire pâturer ces chameaux ? L'administration française pensa qu'il serait possible de les regrouper dans l'annexe d'Ouargla, entre Fort Lallemand et Gassi Touil, dans l'Oued Igharghar et l'Oued Seoudi.

La réalisation de tous ces projets allait dépendre naturellement de la façon dont les J’ramna envisageaient leurs rapports avec l'Administration Française. Un demi siècle d'indépendance avait évidemment conditionné les mentalités. Cependant les premiers contacts parurent satisfaisants, les J’ramna prenant volontiers contact avec nos officiers et n'étant pas avares de promesses.

En réalité, ils continuaient de n'en faire qu'à leur tête, d'autant plus que la paix régnant en zone française, les dispensait d'avoir à se regrouper pour se défendre. Un rapport d'octobre 1926 montre que la fraction des Ouled Sidi Slimane s'est déjà singulièrement éparpillée : 5 tentes à Ain Belda, 6 tentes à Rouissat, 3 tentes chez les Mekhadma dans la région d'Ouargla, 8 tentes à Ghourd Zina au N.E. de Fort Lallemand, 10 tentes à Hassi Khellal, 5 à 6 près de Fort Polignac, en territoire Aijer. Quant aux Ouled Maamar, encore dans l'annexe d'El Oued, et de ce fait directement contrôlés, ils ne cessaient de solliciter des autorisations de changer d'emplacements, voire de se rendre à Ouargla.

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