MOHAMED BELKHEIR - POEMES DE GUERRE I
MOHAMED BELKHEIR
CHANTRE DE L'INSURRECTION
REGION D'EL BAYADH
Mohamed Belkheir est né sous la tente , dans la tribu des Rzeigat ( El-Bayadh ).
Des vieillards qui l’avaient vu à la fin du dix huitième siècle alors qu’ils avaient huit à dix ans estimaient son âge à soixante dix ans environ et situaient sa mort vers 1905 , nous n’en savons pas plus. Il n’était pas baron, comme Guillaume IX , le premier troubadour de France.
Il appartenait au peuple , avait partagé ses passions et ses colères.
Quel poète n’a pas chanté l’amour ? Mais Belkheir savait manier le langage du cœur et celui de l’épée.
Que devons nous retenir : ses prières ou son combat ?
Le second registre l'emporte. Par l'amplitude même . Ce chantre de l'amour , ce mystique déçu , ce résistant nous laissera dans une grande page d'épopée populaire .
Ainsi en est-il de son langage .
Mais simple d'amours et de guerre ; denses concis , précis. Son imagination se meut par bonds successifs , inattendus souvent.Puis le ballet du langage s’arrête brusquement.
C'est le langage d'une société aux valeurs bédouines , le fusil y est roi , où les vertus de courage , de générosité , de franchise , de respect de la parole donnée , placent les hommes à des étages différents ; où le vieillard ancêtre et expérience joue le rôle déterminant , justement pour le langage.
Quel hommage , celui qu'Ibn Badis lui rendra lors d'un passage à El-Bayadh , en 1930 : " Arabe est sa langue , raffinée sa poésie , exemplaire son combat."
"Belkheir chantre du courage nomade et de l'éternel désir , nous propose, sous la dictée des formes pures , un message de demain et de toujours" (Jacques Berque)
"Aucun poète de cette région n'a la notoriété de sidi Belkheir (Emile Dermenghem)
C''est vers 1905 que Belkheir s’éteint et l’anonyme tombe de terre rouge qui recouvrira son corps, dans un petit cimetière éloigné des chemins, sera à peine visible, car le soleil comme la pluie l’ont tour à tour écrasée. De temps en temps un cavalier fredonnera un refrain de Belkheir puis s’arrêtera et , fidèle à une habitude devenue tradition , plantera un rameau sur la tombe ou bien , du creux de ses mains , y jettera un peu d’eau
Poèmes traduits par feu Boualem Bessaih
Natif d'El bayadh ex ministre de la culture puis des affaires étrangère
Rubrique mise à jour le 04 fevrier 2025
Musique d'accompagnement
POÈMES DE GUERRE
EMIGRÉS AU MAROC
Aide-moi, prince de toute chevauchée
Qui délivre l’otage des roumis,
Par Dieu aide-moi.
Sid Cheikh le saint des saints, le chevalier ;
Mon état ni mes supplications ne t’ont ému.
J’erre parmi les gens de l’insouciance,
Entre berbères, gens du Guir et du Tell 2,
Je serai leur risée et tu recevras les reproches.
Ils sont partis et je suis resté,
Triste, me souvenant des miens.
Tantôt la nuit et clair de lune scintillant,
Tantôt ténèbres sans étoiles.
J’attends de Dieu ma saison ;
Périssable est la fortune des puissants ;
J’ai émigré et ne regrette rien.
Qui a des témoins verra le salut.
Sur la balance tu prends ma mesure,
Quelque soit le prix, j’en vaux plus ;
Vendre son affranchi serait la honte du sage.
Je vis à présent au pays de Moulay Ali 3,
Protégé du saint et du sultan
Patron de la porte Ouest,
Marché du vieux Fès.
Là qui achète épargne et ne dépense.
Voix haute du muezzin appelant
par-dessus les remparts, qui profondément dort.
Seaux d’eaux et ablutions, c’est l’heure de la prière :
Est élu qui se lève à temps.
Tant d’offrandes au saint !
Étalons parés, manteaux tissés,
Chamelles racées, reflets rouges,
Chameau écumant portant collier,
Tantôt éclaireur, tantôt à l’arrière,
Tantôt joie, tantôt deuil.
Devant, les pieds entament la marche,
derrière ils la soutiennent.
Leur jeu, de pas en pas, devient course.
Sur le flanc, tache blanche et grise,
Selle dorée, pleine parure.
Je suis seul loin des miens ;
Derrière les crêtes ont disparu les cavaliers.
Ksel et filali 4 sont-ils comparables ?
Naguère, l’oiseau fidèle venait planant ;
Nourritures du pauvre au bout de la nuit :
Les coursiers portaient le repas.
Là-bas , je faisais rouler à terre mes chevaux
Et ma monture attendait l’arrivée des goums.
A vive allure, les cavaliers par groupes se succédaient
A la faveur des salves répétées, nuages de baroud ;
Des vapeurs me grisaient,
Et mon cheval caracolait, danseur illuminé
1. Après avoir émigré au Tafilalet (Sud –marocain) ,Belkheir crée ce poème .
Il entretient le moral des goums et tempère leur impatience
2. Gens du oued Guir prés de Bechar , à la frontière algero-marocaine
3. Sultan du Maroc
4. Ksel : montagne d’El-Bayadh : Filali : dimunitif de Tafilalet
APPEL AU SAINT SID CHEÏKH
Maitre ne m’oublie pas et protège le tien
Par les saints en tous pays présents ;
Délivre-moi pour retrouver ta contrée et la mienne,
Saluer les amis s’ils sont encore vivants.
Je me suis cru tranquille en habitant tes murs,
Fortuné et béni par les gens de vertu.
Rien dans mes actes n’appelle ta colère,
Je t’ai donné le burnous
Et maintes fois beaux étalons.
Le retour de l’exilé n’est-il pas ton souci ?
En toi les gens reconnaitrons le généreux.
A mon départ, as-tu dormi serein ou tourmenté ?
Hâte mon retour, éloigne les médisances ;
dans cette prison d’infidèles, je crains la mort
Sans tolba , ni sourates , ni prières ni chahada
Par Dieu ! Honte si tu me délaisses ou m’oublie ;
Notre pacte est amitié, bonne foi , jihad.
Honte si tu m’abaisses devant les amis,
toi garant de ma dignité et des vertus du cavalier.
Ma vie fût de monter les chevaux,
Tantôt paisible, tantôt à l’assaut vainqueur ;
pour achever l’ennui, je sellais un cheval racé,
harnais, œuvre d’un artisan parfait.
Honte si tu négliges ma semence dans le jardin :
Que ma rigole coule facile 1
Si mon maitre consent, il me libèrera du chrétien :
Je verrai les miens, étendu sur coussins et lits.
L’espoir m’habite , je fuirai le pays étroit
Et retrouverai le grand espace, loin des dépravés.
J’ai cru et crois encore en ton cœur accueillant.
Qui y pénètre est comme le plus chéri des fils.
Je me sens plume, comme scellée à ton corps,
Et l’on m’attache un brin de duvet tes larmes coulent.
Les Laghouati tu l’as dit sont ta dignité et ton habit caché 2 ,
de cet habit jamais je ne vendrai ma part ;
chez eux tu viens , ils t’offriront leurs biens
comme à un sultan , mais tu es préféré .
Hier éclaireurs, nous survolions nord et sud
Destinant nos armes à la migration et au jihad.
Est-ce toi que j’ai vu la veille en songe ?
Si oui approche à la prière de l’aube.
Honte si tu ne me délivres .J’étouffe !
Si tu voulais tes descendants armés me sauveraient ;
ils surgiraient vifs, courageux : secret et miracle ;
Avec leurs parents , enfants de Hadj dine 3
Mais je demande à Dieu le tout puissant mon retour ;
cette prison n’aura été que jours comptés ,
ce que Dieu m’a destiné m’attendra ,
rien n’adviendra hors de l’écrit.
Je n’ai jamais peur , à la vie succède le néant ;
Mon destin est sûr , pourquoi m’entêter avec Dieu ?
Il comble de bienfaits la part qui m’attend.
Quand le Seigneur donne , que peuvent les jaloux ?
Je ne suis pas thuriféraire, je ne loue que toi et le prophète,
Je ne glorifie que Dieu , sur lui repose la clémence.
Nota : Ce poème est adressé au saint Sid Cheikh .
1 Le poète souhaite la richesse du musulman ; grande et honorable famille
2 Le poète est issu de la tribu des Rzeigat , elle-même de la confédération des Laghouat Ksel (El-bayadh)
3 Hadj Dine ; petit village pres d’El Abiodh Sid Cheikh.Le poète veut dire que les habitants de hadj edine , des parents peuvent se joindre aux descendants du Saint
Il semble que Belkheir comptait des amis sûrs dans cette localité
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VOIR AUSSI POEMES D'AMOUR I
Commentaires (11)

- 1. | samedi, 22 février 2025

- 2. | vendredi, 14 février 2025
Salam, sabah el;kheir cher ami Nourredine je te remercie pour cet envoi et rappel de nos anciens héros , hommes de courage et de piété...
L'article est long , mais quel plaisir de se replonger dans ces lectures passionnantes.
Toi même, tu es un héros d'avoir immortalisé cette riche région d'El-Bayadh avec ce site qui fera référence pour les générations future...
Par manque de temps et de moyen de locomotion; je n'ai pu venir te rendre visite ...J'étais à Sidi- Slimane en Janvier.
Très cordialement; Mohammed Amara

- 3. | mercredi, 12 février 2025
Bravo

- 4. | dimanche, 09 février 2025

- 5. | dimanche, 09 février 2025
"Melha" qui à ma connaissance n'a pas été très répandu, ou peut-être absent dans ma région seulement ...
Je trouve sa signification si jolie "celle que tout le monde aime ou que tout le monde apprécie"
mais de nos jours, il se range sans faire de bruit et désespérément dans les oubliettes...
Tout comme d'autres prénoms "Aicha" qui renvoie à la vie,
"Kheira" qui renvoie au bien et qui veut dire "la meilleure"...
et beaucoup d'autres aussi qui tendent tous à disparaître ...
Ces prénoms si jolis ont fait partie du cachet d'une certaine époque passée...
Enfin, c'est ainsi, ce n'est la faute à personne .
Le poète à bien dit : les générations se suivent mais ne se ressemblent pas !! ...
N'est-ce pas??
Salam

- 6. | vendredi, 07 février 2025
cheikh slimane de stitten est incontestablement un gardien de nos racines qu'il entretien avec des mots tous plus forts les uns que les autres , c'est une poesie du souvenir , bien plus qu'un chant , un hommage aux ancetres......qui fait vivre à travers les siecles......
je vous parlais de cette musique de fond que l'on entend quand on clique sur la page "poeme de guerre" , mohamed belkheir.....une phrase sur fond de gasba.....je reconnais là le son que j'ecoutais petite ,mon grand pere jonglait avec les mots et ce souvenir me rappelle la richesse de nos liens.....
je voulais aussi rajouter que ce site tres complet, est un veritable livre ouvert pour tous ceux et celles qui veulent renouer avec leurs racines ......depuis que je l'ai decouvert , je ne cesse d'apprendre, de voyager sur les traces de mes aieux......
encore une fois merci
ghania

- 7. | vendredi, 07 février 2025
Bienvenue chez les tiens ainsi qu'à votre père que je salue au passage,je ne sais de quelle musique vous parlez , à moins que vous faites allusion à celle incorporée sur la rubrique " OU SONT LES BRAVES"(Rah lel baydha en allusion à sid Cheikh - El Abiodh )autre poeme de M.Belkheir", si c'est le cas c'est un chanteur de la région " Cheikh slimane " originaire de STITTEN et qui a repris merveilleusemet bien notre patrimoine artistique
Amitiés sincères
P/S Malheureusement le métier de Meddah a presque entièrement disparu si ce n 'est dans des contrées éloignées et isolées du monde " moderne "

- 8. | vendredi, 07 février 2025
quelle est cette musique que l'on entend , mon grand pere pratiquait le madah et ça y ressemble enormement .....je vous remercie pour l'attention que vous porterez à ma demande .....
amicalement ghania

- 9. | mercredi, 05 février 2025
Tu dépoussières les tirroirs de notre Mémoire et tu le fais avec un soin digne d'un Gardien de la survie des Enfants se revendiquants de "L'ASL" ou "L'IRK". Seul, toi, peux prétendre savoir et pouvoir connaître ce que ressent un Géryvillois doublé d'un Bayyidhi.
Grand Merci à toi l'enfant du Pays: Le FRERE dont nous aurions tous aimé avoir en toi.
Tahar qui afféctionne tout particulièrement ce site.

- 10. | mercredi, 05 février 2025
Entendre la musique de fond, lire ces poèemes fabuleux, les mots qui guérissent les maux, la mise en valeur sur le site ne font que pousser l'émerveillement et le rêve de vos paysages magnifiques.
Quand est -ce que vous nous envoyez de la musique, du soleil, du sable pour nous emmener sur le tapis d'Aldain survoler ces dunes qui nous enchantent ? Il va falloir que vous organisiez des voyages vers ces beaux lieux pour nous lire la poésie et nous soigner de nos maladies du stress d'Europe.
Merci Nourredine,c'est un vrai voyage que tu nous offres à travers ton si beau site !!

- 11. | mercredi, 05 février 2025
Notre première satisfaction est de savoir que vous pouvez repartir à la conquête du silence de l'immensité et de la méditation vers le sud magique et mythique.
Beaucoup de lyrisme et de grandeur dans les poèmes de M.Bellkheir dont la vie de bédouin n'a pas altéré la dignité.