MOHAMED BELKHEIR-POEMES D'AMOUR I
KHEÏRA
Ne m’interroge pas, ô homme creux,
Je ne peux te répondre car je suis dans le tourment
Dis-moi où campe la tribu de Kheira.
J’hésite à te raconter le secret du zaoui 1,Sapha 2 le meilleur des tolba ,
qui sait la parole , Je vis en songe le spectre illuminé et confiant
Qui me dit : « O Mohamed chante ».
Parmi les hommes j’ai des amis : Hamou 3 et Sahraoui 4,
Là-bas à l’est entre l’adjar et le gzoul 5,
Gens de séant, chaleureux ils fouillent mes secrets.
Ces nobles-nés généreux, d’honneur intarissable ;
L’un vil, courageux sans cesse hospitalier,
Accueillant, pauvre et puissant ;
l’autre, exquis et raffiné ; sage il blesse et guérit,
Docte, il soulage sans talisman l’amoureux.
L’un pleure sans larmes, à peine éraflé ;
L’autre erre absent, comme ivre.
Tel autre, aidé par le djinn des errants, séduit l’aimée,
Béni par les élus et Boudali Djelloul 6.
Je n’innove pas la langue mais crois ma parole sûre ;
Mon langage est allusion : le comprendras-tu ?
Regarde nourrie par l’arbre, la branche grandit,
Mais la greffe ajoute peu au rameau court.
L’homme vrai éclate poudre si tu le brimes,
et la poudre répond à la poudre.
Même rehaussé, le vil demeure vil.
Qui a de médiocres origines mourra dans l’humiliation.
Je crains de devenir comme le Cheikhh Maqraoui 7
qui a suivi la belle dans la voie du maudit.
Cheveux au vent : gazelles courant dans le désert.
Effrayées par les chasseurs venus dans la surprise.
Le front sous la mèche noire par sa clarté nargue ,
la lune de la troisième nuit toute d’éclat.
Beauté, dessin harmonieux du sourcil : tes yeux sont pistolets
Dans les mains d’un gouverneur d’Istamboul.
Ta joue, matin ou lampe éclairant à la veillée,
sa clarté maintenue pour un bey solitaire.
Ton cou étendard planté par l’ennemi
Le jour du combat entre les héros de l’arbaa et les Rzeigat 8.
Ton corps, neige courant dans la vallée ,
ou blanche chaux des minarets.
L’anneau à la cheville chante, complainte du gnawi 9
Accompagné d’esclaves, escorte de la caravane.
Dis-moi où campe la tribu de Kheira ?
Pigeon bleu si tu vas chez les nomades , porte le message
Ne tarde pas, apporte la réponse
parle à Kheira , bijou d’or.
Que tu me sois cher, mon cœur le ressent :
Je n’accepterai ta défaite.
Rapporte moi fidèle ses dits ;
le cœur ouvert s’en réjouira.
L’orateur imprécis mutile le propos.
Son oued est sec. Qu’y boire ?
Que vaut la beauté sans parure de langage ?
L’origine seule auréole la fierté ;
légèreté et grandeur ne se comparent :
La tour n’est pas écran de roseaux.
Le tireur vise genoux à terre, et la balle atteint la cible.
Kha , ya et ra , ces lettres ont accru ma souffrance 10
Cette femme m’aime : je bois ses yeux et je guéris.
Elle m’aime : promets l’amour
Il appelle fidélité ; et le cœur fuyant m’éloigne.
Explique moi pourquoi ,la croyance aux filles trouble
Mon cœur désire l‘objet du tourment : Il loge en lieux surs
Kheira m’a dit « ne me reproche rien ,
nous sommes nous déjà séparés ?
Mon message t’a retenu ; vers toi j’allais,
et nous nous sommes rejoints.
Car nous savons »
Elle m’a dit « je veux mon aimé ici,
et qu’il devienne mon voisin ».
Je lui ai dit « O précieux étendard,
fille de l’agha chef des tribus
Tu te lasseras du voisin,
même s’il devient miroir.
Le voisinage apporte la maladie dans la lèpre.
Loin le bien aimé appelle l’épreuve,
à le voir le cœur exulte.
Je suis ami des chevaliers, des braves
Si Dieu veut nous t’enlèveront.
Qui cherche des amis, fréquente les braves
Prompts à affronter les fusils.
Ne m’aime point si j’exagère mes exploits,
qui se vante est menteur,
Qui se dit courageux m’accompagne au combat,
Il saura si je suis brave ou lâche
«.Vigilant, délicat, non instruit et sachant
Je donne à chacun son dû , mais je néglige l’invité :
Je suis homme de renom
Dieu m’a donné modeste fortune,
du poète il a exaucé le vœu ;
Grâce, piété, prière, lecture,
qui a ces dons est dans la sérénité
O mon cœur patience, toi qui ressens tout.
Tu me jettes toujours dans la difficulté,
tu n’es attiré que par qui j’aime.
Si tu songes à la belle lune ,bientôt nous la verrons.
La dixième nuit du mois
Son bras était mon oreiller.
Une couverture sur notre lit rouge
Et draps brodés de fleurs.
De mon amour je suis fier, belle parmi la beauté.
Ma richesse est de rocailles
Et ma vie attend sa saison.
La pluie vient de la mer, et le seigneur l’apporte jusqu’à nous,
Mon herbe se nourrit de cette eau, et verdit mon jardin
De l’occulte je n’en sais rien : domaine de Dieu et du destin.
Je l’ai vu de mes yeux : noble et capricieuse,
Chez elle, nous veillâmes. Paroles tendres
1 . Zaoui : fidele appartenant à la zaouia (confrérie des ouled sid cheikh)
2 . Sapha :Dimunitif de Mustapha
3. Hamou : dimunitif de Mohamed , il devint agha de Frenda
4. Qaddour ould sahraoui qui devint agha de Laghouat , ce personnage très populaire et ami de Belkheir ,
combattit les Français.
5. L’Adjar : lieu dit El-gzoul : plateau entre Laghouat et Djelfa
6. Autre nom de Sidi abelkader Djillali , fondateur d’une des plus grandes confréries du nord de l’Afrique.
7. Un ami du poète devenu passionément amoureux.
8. Arbaa : tribu de la région de Laghouat – Rzeigat : tribu d’El-Bayadh.
9. Gnawi : l’esclave exalté chantant.
10. Une autre variante donnait à cette femme le nom de Azza , ces vers prouvent qu’il s’agit bien qu’il s’agit de Kheira.
Les lettres kha,ya et ra forment le prénom de Kheira
AÏCHA
FATNA
O frères d’amour ! Les femmes aux visages voilés
m’ont dérobé le sommeil.
L e cœur a mal, l’œil ouvert ;
Pour la prière je guette l’aube.
J’ai quitté Ghaicha 2 à l’ouverture des portes,
pressé de retourner au pays.
Sitôt le pied dans l’étrier,
mon cheval, rapide à mon gré, vole tel un oiseau,
Vigilant, il écourte ma solitude.
Sorti de Gossa 3 , épris de galop ,
il avale les chemins faciles.
Jamais je ne compterais avec les puissants,
par la volonté d’Allah et de mes armes.
Aïcha m’a rongé l’os, vidé de ma moelle,
l’amour m’a changé en cendres
J’organise seul les affaires, sans aide ni recours
Quel naïf découvrirait mon secret ?
Je voudrai à qui veut et serait juste,
O toi qui comprends le sens de mon chant
Mohamed est étranger dans ce pays de loups
et ne distingue pas l’ami de l’ennemi
Aucun talisman n’efface l’écriture
et ne retarde l’inéluctable
Aicha accroit ma souffrance,
princesse du village et du pays.
La taille : étendard des nobles
un jour de grand combat,
où se succèdent par groupes les cavaliers,
amis de poudre.
Dans l’insouciance elle flâne et discrète elle regarde ;
dignité , intelligence !
Tout en soupirant d’amour.
Aîcha , taille ténue , dans le secret m’a brulé …
De grâce , Dieu le clément , épargne moi, Ô Allah
L’amour de Aîcha m’a pris,
Aicha, lèvres fines, ton amour acharné
aucun répit ne laisse.
Et frissonne le cœur , coule les larmes,
agressée ma raison fuit.
La fièvre me consume, comme aicha est loin !
Tantôt serein, tantôt orageux, et la crue engrosse mon oued ;
tantôt triste, tantôt heureux, blessé je demeure.
Le chagrin a vieilli ma jeunesse et je pleure à chaudes larmes.
Quand nos cœurs sont unis, l’amour appelle l’amour 4
Sans vin, ivre de son seul amour, elle m’a blessé le cœur et les entrailles .
Je chante son nom le jour du combat
Et achève ainsi les jaloux.
Elle a défait ses cheveux , plumage tombé jusqu’aux hanches ;
ses sourcils encore sont deux " noun " à l’encre.
Tes yeux Aicha, aux longs cils maquillés
jettent un guerrier regard.
Roses et blanches, éclatantes ses joues altèrent la raison.
Le rouge du Tafilalet, Aïcha s’adoucit sur tes lèvres 5
exquises et sans fard.
Ton corps blanc, chott et coupole chaulés
Qui de loin étincèlent.
L’anneau à la cheville protège ta jambe,
épée au fourreau précieux.
Aux chevilles de celle qui me tourmente,
ces anneaux s’enroulent serpents.
Le pied et son empreinte rappelle la gazelle.
Gazelle aux bonds gracieux
embellie de traits fins.
Elle sait rythmer le pas, les femmes l’entourent de partout.
Et le vent emporte ma patiente troublée.
Elle s’habille, robes de fêtes ,
couleurs bariolées cafetans et taffetas
bouclés de ceinture.
Nombreux bijoux , comme vols de pigeons
L’un l’autre se succèdent.
Gazelle entre les murs.
L’angoisse me vient au cœur
Lente et la guérison.
O Dieu Le Généreux ,apprends-moi le repos.
1 Voici ce qui semble être un des derniers poèmes courtois de M.Belkheir
Pour la première fois le poète utilise le zagâl cher aux poètes andalous
( ce qui demande une grande maitrise de la langue car c’est une des rythmiques la
plus couramment utilisée dans l’amour courtois arabe ).
2 Ghaicha : vieux village non loin d’Aflou , jadis entouré de remparts.
3 Gossa : lieu connu des nomades , au sud d’El bayadh.
4 Une autre variante : « Ta date de naissance correspond à la mienne « ; le vers sonne bien en arabe : les deux cœurs sont nés jumeaux.
Mais la version que nous retenons nous semble exacte.
5 Référence à la couleur vive de la maroquinerie du Tafilalet
Elle a frappé et m’a atteint,
Elle a visé juste.
La laine filée s’emmêle :
Comment la démêler ?
Amour violent venu de loin
D’abord caché puis révélé.
Visage de l’aimée, flammes vives,
Feu d’amour sans traces ni empreintes 1.
Tantôt présent, tantôt absent,
Seul l’homme parfait pourra me blâmer.
Mon compagnon, l’ami, le chevalier El-Bacham 2,
Tombe de mes secrets, je l’ai enterré.
Cet homme, trésor caché, distingué parmi les hommes.
L’amour appelle la rencontre et les retrouvailles consolent.
L’amitié n’est pas éphémère : pour elle on tue ou on meurt.
Qui pleure sans larmes a le cœur sec,
Qui fuit ne revient pas contraint,
Qui chasse sans gerfaut n’obtient rien ;
Qui prêche sans écho en vain parle
Ainsi est la vie : vainqueur et vaincu.
Je préféré digne mort à vie déshonorée,
La terre tourne, les heures changent,
Aucun seigneur hormis Dieu ne demeure.
Long est le jour des adieux, attirante la douceur.
Qui est à Gossa est loin de Bessem .
Longue distance me sépare de la bien aimée !
En deux jours j’en couvrirai quatre,
Chevauchant de l’aube au coucher
Sur une monture nourrie d’avoine fraiche.
D’elle j’ai reçu un message, femme de bonne renommée
Elle me dit : « ne sois pas triste, ne me reproche rien,
Si Dieu veut, bientôt je te servirai, toi qui est loin «
Elle a gardé cœur généreux, parole tendre,
Telle une femme de son rang.
De peur du châtiment et des reproches,
Elle n’a trouvé alibi pour me voir.
Quel taleb peut apaiser mon mal ?
L’étendard d’un groupe d’assaillants m’a terrassé.
Quand viendra l’heure du repentir, chacun se lèvera
Devant les anges et l’enfant messager.
Elle traine le pas, colombe gaie, flânant sans être cible,
Robe tout soie ceinte d’or, tapis précieux riche d’éclats
Sœur de l’astre, le soir elle est lumière.
Et sa clarté fond les ténèbres.
Cheveux d’ébène doux plumage,
Autruches que le galop disperse.
Yeux noirs, trésor : eux yeux limpides au fin tracé,
Éclairs peut-être dessous les cils
Tranchant qui les affronte.
Gloire à Dieu maitre des formes
Qui, par eux noun, calligraphie les sourcils 3.
le juge sait qui l’emportera des deux parties en conflit 4.
Amis assistez le poète par votre clémence,
Seul le frère en souffrance peut alléger l’angoisse !
Fatna, Fattûm, tu m’as brisé.
Je t’adjure par qui lit planches et livres 5.
Ô Dieu ! ne m’en veux pas pour mes péchés .
Toi l’omniscient, à toute porte tu as clef.
Rien, apparence ou secret ne t’échappe.
Au Kreider, je n’ai point à faire 6,
J’y suis venu contraint et non en voyageur.
Le chott est marché vide sans vendeur ni crieur ;
Partout le désert, parfois quelque attroupement.
Point d‘herbe dans cette hamada, source de vents,
Ni blé, ni arbres : rien que poussière et désolation.
Mon cousin et moi, hommes de bien,
Sommes passés seuls par ce col maudit.
J’attendrai, le vent tournera,
L’angoisse quittera le cœur de l’assoiffé
Tantôt généreuse, tantôt rude , infidèle est la vie.
A l’heure de joie succèdent les heures de peine.
Ne troque pas l’amitié, ne sois pas fourbe :
Tu commanderais aux brigands
Cheveux noués, à présent coulent sur se épaules,
Soyeux tel un tapis précieux
Le large front défie l’astre par sa clarté
Comme l’aube lorsqu’elle pointe ;
Les sourcils sont deux noun
Inscrits à l’encre par-dessous les pommettes roses ;
Les yeux, fusil à double gâchette,
Pour un tireur d’élite in conciliant et irascible
Un croisé d’éclairs brisant le ciel
quand elle soulève la paupière droite
Dans son regard,
Je ne trouve nom à mes braises et à ma joie 7 .
Douce ou terrible, son nez demeure l’harmonie.
Le bijou qui résonne à sa cheville teinte dans mon cœur
Ahmed mon ami, je suis fragile et quête un abri,
Loin des sons qui m’ont blessé.
Ce jour là, Mohamed s’en est allé, écorché à jamais
Trésor verrouillé dont je cherche la clef,
Au péril de ma vie je te ravirai
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