FRERES DE EL-ABIODH SID CHEIKH
PETITS FRERES ET SOEURS DE EL ABIODH SID CHEIKH
Récit du père Jean Michel
Fraternité (chapelle) années 1930
Quand je suis arrivé pour la première fois à El abiodh , fin Aout 1953 , il fallait rouler à peu près toute la journée depuis Oran , pour faire le voyage sur une piste non goudronnée , jusqu’à l’orée du désert .El abiodh ne comptait alors que 17OO habitants : deux gros quartiers fortifiés et deux plus petits, ne comptant que des maisons aux murs d’argile. Le grand bâtiment de la fraternité, un ancien fortin, aménagé en couvent était situé un peu à l’écart , à quelques centaines de mètres de ces quartiers .
Une vaste et merveilleuse chapelle au style mauresque dressait sa coupole au centre du bâtiment ; à l’arrière s’étendait un grand jardin. Au début (depuis 1933 date de la fondation, jusqu’à près la guerre de 40) , les frères y vivaient dans la stricte clôture et le silence complet, selon une règle stricte écrite par Charles de Foucauld .
Ce n’est qu’après 1945 que les frères changèrent complètement de style de vie , en s’inspirant moins de ce que frère Charles avait écrit, que de ce qu’il avait vécu. Les novices arrivaient alors nombreux : une moyenne de 30 par an, dans les années 1950 à 1956, au point qu’on devait loger à deux dans des cellules prévues pour un seul frère.
De suite après mon noviciat, j’ai rejoint la fraternité des ferres nomades. Depuis 1950 déjà , il y avait des petites sœurs nomades. Très liées dans le début à une famille, elles se sont peu à peu aperçues qu’elles devaient être plus indépendantes .C’est alors que petite sœur Magdeleine a demandé qu’il ai des freres auprès d’elle . Ceux-ci ont commencé leur fraternité en 1951, on nomadisait beaucoup, quatre frères et quatre sœurs allant parfois jusqu’à des centaines de kilomètres de El Abiodh à la recherche de pâturages. Mais nous restons liés à la fraternité d’El Abiodh , d’où Milad nous suivait et nous guidait, grâce à sa personnalité spirituelle et sa connaissance du monde nomade .
Certains frères d’origine européenne comme Milad ici, Yahia, Abdallah et Tahar plus loin
Ont pris des noms arabes . Dans d’autres régions aussi, des frères prendront des noms locaux.
De la guerre d’Algérie . Nous sommes alors revenus à El Abiodh et ce n’est qu’en 1964 que nous avons pu reprendre la vie nomade
Milad avait été initié aux soins des malades dans le village par René Voillaume . Ces soins l’ont fortement lié au village. Déjà la famine de 1946 et les séquelles de la guerre avaient créé des liens très profonds entre le village et la fraternité . Nous bénéficions actuellement encore de ces relations si anciennes , qui sont comme une histoire « sainte » entre le village et nous . Parallèlement à son service d’infirmier , Milad avait le souci de toujours mieux connaitre la vie spirituelle de la communauté dont il partageait le destin depuis 1935, c’est ainsi qu’il entreprit d’étudier l’histoire de sid Cheikh , le maitre soufi dont la tombe est devenue un lieu de pèlerinage important dans toute la région et qui a donné son nom au village d’El Abiodh sid Cheikh , Milad a préparé une édition critique d’un long poème mystique de sid Ccheikh « Al yaqouta » (la pierre précieuse) avec la traduction française et de nombreuses notes . Elle a été publiée après sa mort en Algérie
Feu père Jean avec mon fils Karim
lors d'une escapade à Moulk Slimane le 25/12/2013
La fraternité d’El Abiodh est un haut lieu pour les fraternités , non seulement parce qu’elle est le lieu de la fondation mais aussi parce que c’est là qu’ont été formés par Milad tous les novices jusqu’en 1956. Plus tard c’est là encore que les frères après une vingtaine d’années de vie religieuse viendront passer une année de désert sous la direction de Milad . Celui-ci était vraiment le pilier de la fraternité, dans laquelle il vécut de 1935 jusqu’à sa mort, survenue durant l’office du matin de la fête de l’immaculée Conception le 8 décembre 1984
Comme il n’y a plus de noviciat ni d’année de désert à El Abiodh , nous ne sommes plus que trois frères dans cette grande maison . Une grande partie en a d’ailleurs été cédée à des voisins. Là où se faisait le noviciat, habitent actuellement dix-neuf familles arabes . Il nous reste cependant encore onze cellules , ce qui nous permet d’accueillir de temps en temps des prêtres et amis de différents diocèses d’Algérie , ou des frères .
El Abidh sid Cheikh 1890
Il nous reste aussi bien sur la merveilleuse mais trop grande chapelle. Toutes les dures années de la guerre et de maintenant ont approfondis nos rapports avec les villageois et ceux-ci nous l’ont témoigné. A l’époque du noviciat, les rapports avec les villageois étaient entretenus par Milad et son service d’infirmier. Quelques novices y travaillaient comme chauffeur, électricien etc. Maintenant encore nous avons tout le temps des visites d’hommes, de femmes et d’enfants, même pendant le travail. Cette insertion dans le village me semble très importante . L’Archevêque d’Alger Mgr Teissier a tenu à nous dire que nous ne pouvions pas penser à fermer cette fraternité car elle est un lieu qui dépasse la fraternité. Nous devons en tenir compte. faire plus petite !
En juillet 1966 nous avons mis fin à notre fraternité nomade, et j’ai été embauché comme fonctionnaire dans le service de l’hydraulique . C’était sur la demande expresse de l’évêque , qui voulait qu’un frère travaille avec l’état. Le fait que j’avais été nomade et que je connaissais donc bien la région a été déterminant pour mon embauche. J’ai donc poursuivi une formation d’hydrologique, tout en étudiant l’arabe littéraire , absolument nécessaire, tant pour moi que pour mes collègues de travail pour pouvoir faire des rapports. Il s’agit surtout de faire le bilan des ressources hydriques de la région. J’étais responsable du secteur d’El abiodh , qui comportait trois départements. On avait des postes météo dans toute la région pour mesurer les pluies, les températures, l’évaporation etc de même que des instruments de mesure dans des oueds qui pouvaient être éventuellement aménagés en petits barrages pour l’agriculture et les troupeaux .
Cela a favorisé mon insertion dans le pays, pas seulement à El abiodh mais aussi dans les environs, je faisais jusqu’à cinq ou six mille kilomètres par mois. Je revoyais tous les mois les observateurs et leurs familles, et comme j’ai travaillé ainsi pendant vingt-cinq ans , nous sommes devenus des amis . J’ai arrêté en 1994 en partie à cause de l’âge mais surtout à cause des évènements .
El Abiodh sid Cheikh milieu 18 ième siècle
Au long des années le village s’est progressivement développé. Avant d’arriver à la fraternité, là où il n’y avait que le désert , il faut maintenant traverser un kilomètre de village ! et tout est construit en dur, on passe au milieu de logements à trois étages. Les 1700 habitants du début sont devenus 25000 ! C’est inimaginable. Il y a des magasins partout, le téléphone et l’électricité , deux lycées, quatre pharmacies et onze médecins , dont la majorité sont des femmes et je pourrais continuer…
Fraternité - Le père et ami Raymond
Apres ma vie nomade c’est ce nouvel El Abiodh que j’ai retrouvé avec des occupations qui m’ont encore pris plus de temps qu’avant. A titre semi bénévole j’ai démarré un atelier de réparation de machines à coudre et de machine à tricoter. J’ai appris le métier sur place. Mon travail d’hydrologue m’avait déjà amené à des travaux de réparation de petits appareils. C’est devenu ma spécialité, et j’ai beaucoup de clients. Les femmes achètent leurs machines sur le marché en pièces détachées. Elles envoient un enfant me chercher, j’examine si toutes les pièces y sont et je monte la machine. Il y a deux ans j’ai inventé aussi un système pour relier les livres de classes, simplement collés, ceux-ci vont vite en feuilles détachées si on ne les relie pas. C’est bien utile car les livres coutent chers . L’année passée j’ai fait ainsi 700 livres, j’arrive à en faire quinze à vingt par jour. Et maintenant ils m’amènent même leurs livres neufs
J’ai également accepté de collaborer à un centre pour handicapés. Je suis président d’une association de familles. Je m’y occupe des affaires matérielles, réparer des jouets, passer chaque jour voir si les éducatrices sont là , cela me prend une ou deux heures par jour . En fait maintenant je suis beaucoup plus pris par toutes mes activités que quand je travaillais dans l’hydraulique. Nous ne sommes pas au désert pour y être des ermites ! j’ajoute aussi que je garde des liens avec les nomades . Ce fût quand même ma première vocation !
Raymond lui travaille à mi-temps comme secrétaire comptable dans une entreprise de travaux publics et hydrauliques à côté de chez nous. Il garde l’autre moitié du temps pour travailler dans le jardin, en association avec une famille et une petite soeur ; Il est aussi demandé par des gens pour des conseils d’agriculture, la taille des arbres ou les vignes . Il faut dire qu’il est agriculteur de profession et a une passion pour la nature ! Il s’y connait aussi en plantes médicinales, ce qui lui permet de donner des conseils bien appréciés dans le village : il soigne même avec l’argile ! Haroun accueille les gens, nous fait la cuisine et le ménage . Il est bien aimé du village
Les petite sœurs ont également une fraternité à El Abiodh qui a été importante comme celle des frères. Maintenant en 2002 elles n’y sont plus que quatre
Nous étions au désert et le désert évoque un monde dans une « terre aride, desséchée sans eau « à la recherche du seigneur . Le désert oblige à l’essentiel. Beaucoup de choses tombent d’elles-mêmes et nous paraissent superflues artificielles , constructions humaines, mêmes les plus belles idées érigées en constitution . Le désert donne faim et soif de la pure parole de Dieu, qui est source vive et lumière d’éternité
Jardins de la fraternité
Par Noureddine TOUMI - Mis en ligne le 05 /10/ 2024
Sur la photo de la couverture de la page figurent:
Pierre Claverie en 1988 avec sœur Madeleine, frère Jean-Michel et petite sœur Karima à El Abiodh sid Cheikh
NB/ Branchez vos enceintes acoustiques pour écouter la musique d'accompagnement
Si la musique ne démarre pas automatiquement, cliquez sur PLAY du lecteur ci-dessous
Qui était le Père Jean-Michel ?
Le père Jean-Michel avait 87 ans à son décès survenu le 02 aout 2019, il est né à Bordeaux le 19 décembre 1931.
Il est entré jeune dans la Fraternité des petits frères de Jésus. A cette époque on faisait le noviciat à El Abiodh sidi Cheikh, dans le désert algérien. Il y avait aussi dans le secteur une fraternité nomade, avec quelques frères qui vivaient la vie des pasteurs nomades de la région. Jean-Michel y a vécu quelque temps avant même son noviciat et il y est retourné ensuite pendant un ou deux ans, il a appris à connaître le désert et les gens qui y vivent, les frères vivaient très proches de familles nomades qui étaient devenus des amis. Ce n’était pourtant pas une période facile car c’était le début des années de la lutte pour l’indépendance.
ALBUM PHOTOS - MA PREMIERE DECOUVERTE DE LA FRATERNITE EN 2012
Commentaires (5)
- 1. | mercredi, 16 octobre 2024
- 2. | mercredi, 16 octobre 2024
Amicalement,
Mijo
- 3. | vendredi, 11 octobre 2024
Le récit du père Jean -Michel retrace une histoire dont la méditation et la fraternité sont les actes fondamentaux.Il est émouvant de suivre l'évolution de ces frères dans le désert,dans ce bâtiment fortifié, et cultivant un jardin .Votre fils aura eu l'opportunité de lier connaissance avec le frère Jean avant l'abandon du lieu religieux.
Reprenez vite le moral
.A une autre fois.
Bien amicalement.
- 4. | mardi, 08 octobre 2024
Amitiés
- 5. | lundi, 07 octobre 2024
Fraternellement
Cette suite est très émouvante également. Je n'avais jamais entendu parler auparavant de ces frères et Soeurs Nomades; de cette Communauté de la Fraternité et de toutes ses activités.
Ca me touche énormément et je m'incline avec respect devant leurs dévouements, leurs oeuvres et sacrifices. La présence de ces religieux et religieuses dans un lieu aussi mystique que Labiodh Sid Cheikh et cette chapelle aussi magnifique que simple, édifiée non loin du mausolée du Saint Sid Cheikh a une valeur symbolique d'amitié et de fraternité éternelle, même si ne subsistent que la nostalgie et la tristesse après la joie et l'espoir.
Je comprend les émotions que dégagent les textes et les images et je les ressent un peu comme toi, même si je n'ai connu aucun des personnage auxquels tu rends justice et hommages: Père Raymond, Père Bruno.....
Que leurs oeuvres ne soient jamais oubliées. Paix à eux tous ou qu'ils soient.
Merci cher amis et bonne continuation
Abdelhamid