XAVIER JACQUEY UN INFIRMIER A EL BAYADH

 

 

XAVIER JACQUEY UN INFIRMIER A EL BAYADH

 

Ils sont Français ou Algériens. Ils ont vécu la guerre dans les rangs d’une armée… ou d’une autre. Cinquante ans après,
la mémoire reste à vif.
Xavier Jacquey est petit frère de Jésus à Marseille quand il est appelé en Algérie en novembre 1958. Il débarque à Alger
en 1959 avant d’être envoyé dans les territoires du sud, à El Bayadh, en tant qu’infirmier. Outre les soins apportés aux
soldats, il fait aussi de l’assistance médicale auprès des populations locales. Il part tous les matins avec un convoi soigner
les nomades dont les tentes sont regroupées autour d’un petit poste.

« II y avait 4 500 nomades qui vivaient dans des conditions sanitaires très difficiles. Les gens étaient acculés à crever de faim
car on leur enlevait leurs troupeaux et on détruisait leurs greniers. » Ils sont très peu, à peine un médecin et quelques infirmiers.
Xavier Jacquey n’a que sa formation d’infirmier militaire et apprend tout sur le tas, consultant soigneusement son manuel avant
de traiter des cas de tuberculose, de réaliser des accouchements…

Progressivement, les médecins quittent le camp et l’infirmerie se transforme en lieu d’interrogatoire.
Lui soigne les personnes torturées. « Les gens se sont moqués de moi mais personne ne m’en a empêché.
On m’appelait “ le Bon Samaritain ”. »

Il s’abrite derrière les consignes d’un commandant opposé aux exactions pour rappeler aux militaires de ne pas torturer et
ne pas être trop en difficulté lui-même. « Si on ne résiste pas très fort, on peut être pris dans cette atmosphère et ses règles.
Mais j’avais une volonté d’intégrité. Et on avait la possibilité de s’accrocher à certains mots d’ordre pour résister. »

Une nuit, quatre femmes sont ramenées au poste et violées par les gradés. Tous les soldats écrivent alors au commandant pour
dénoncer les viols et les tortures. Une enquête officielle suit, concluant qu’il n’y a pas eu de viols (mais prostitution).
Les auteurs de la lettre sont mutés dans l’accompagnement de convois, l’une des missions les plus dangereuses.
Les commandants du poste sont déplacés.

Mais les interrogatoires de civils reprennent de plus belle. « J’ai essayé d’intervenir. J’ai eu des menaces de balle perdue ou d’être
envoyé en prison. »

Xavier Jacquey se retrouve aux Arbaouat, dans une palmeraie, sous les ordres d’un lieutenant qui a menacé de le tuer à cause de
ses prises de position. Là aussi, il soigne les gens de la palmeraie, qu’ils soient simples paysans ou… membres de l’ALN.
« Il y avait des gens que je n’avais jamais vus. On se doutait que c’était l’ALN. » Il reste là huit mois.

De retour à El Bayadh, il est affecté à l’hôpital. Un jour, il soigne deux soldats du FLN. Il passe quatre jours et quatre nuits dans leur
chambre pour empêcher qu’on les achève. Démobilisé, il revient chez les petits frères. Il y reste trois mois. Il entame finalement des
études de médecine en mai 1968. « Je ne pense pas que c’est lié à l’Algérie. Ce n’était pas fait pour moi.
J’étais plus heureux dans l’activité sociale. » L’ancien infirmier est devenu psychanalyste.

                                                                   Par Agnès Noël

 


 
 
                      

Ce fait est le séjour en catimini d’un couple de Français. Il s’agit du Dr Jacquey, psychiatre, et de son épouse. Visite de nostalgie et de pèlerinage, où l’ancien infirmier militaire a renoué avec des lieux et des noms : des connaissances d’il y a un demi-siècle.

Xavier Jacquey était connu depuis plus d’un an chez les jeunes de l’Association Culture et Tourisme d’Arbaouat (à 100 km au sud-ouest d’El Bayadh), car la Ligue des Droits de l’Homme de Toulon, France, avait publié des lettres qu’il avait envoyées à ses parents depuis Arbaouat ; Arbaouat où il avait atterri venant de Kef Lahmar.

En 1959 donc, le jeune Jacquey arrive dans le secteur de Géryville, où l’ALN est très forte (voir ci-dessous). Il est affecté à Kef Lahmar, à 45 km de Géryville, comme infirmier pour « soigner » les 4.500 nomades habitant quelques 650 tentes, regroupées autour d’un bordj dans le cadre de la structuration-encadrement de la population. Il s’indigne des conditions inhumaines des habitants, écrit à ses parents qu’il meurt quatre enfants par jour, de faim, de maladie et de froid. Pour leur éviter la « corvée de bois », il soigne les prisonniers torturés dans le poste. Il ameute sa hiérarchie médicale et ses camarades. Vingt d’entre eux, appelés du contingent, protestent par écrit auprès de leur commandant contre la torture et les viols.

Ses lettres à ses parents, Xavier Jacquey, devenu psychiatre, les a retrouvées soigneusement rangées à la mort de son père en 2000 ; « lettres-journal » où il parle de son quotidien avec les conditions précaires des nomades parqués autour du bordj, les exactions des militaires et aussi ses démêlés avec ses supérieurs. En avril 59, il est muté disciplinairement vers le sud, à Arbaouat, à 15 km d’El-Abiodh Sid Cheikh, – région connue à l’époque par ses attaques répétées –, sous les ordres du lieutenant qui l’a publiquement menacé d’une « balle perdue ». Sauf que le « Mektoub » a joué pour lui. Il est catholique pratiquant, et les religieux d’El-Abiodh Sid Cheikh, les Pères Blancs de Géryville, son aumônier militaire ainsi que l’évêque Mgr Mercier l’ont mis sous leur protection morale.

Ces lettres-journal présentent un témoignage « à chaud » d’une guerre où la torture est banalisée, où les blessés, si personne ne les protège, sont achevés, où des viols peuvent être couverts par l’autorité militaire, où le rationnement alimentaire des civils est réduit plus qu’au minimum.

Xavier Jacquey écrit à son père le 16 juin 59 : « Mon vieux papa, décidément je suis assez écoeuré par ce que je vois depuis mon arrivée en Afrique. Vrai, pas joli, joli. Actuellement, il y a un gars qui est en train de gueuler, les paras l’“interrogent”. Bientôt 48 h qu’ils sont sous de la tôle sans boire ni manger. J’ai demandé ce matin au chef de poste qui s’occupait de leur graille. Il m’a répondu qu’ils étaient encore à la diète. Et lui n’y peut rien, nous sommes sous les ordres d’un commandant parachutiste ! ».

Le confondant avec un autre infirmier qui épargna un parent blessé dans les environs d’Arbaouat en le laissant délibérément vivant sur le champ de bataille et dans l’espoir de faire plaisir à ce parent, Haj Khlifa, qui ne se rappelait que des larmes de l’infirmier militaire lorsqu’il lui avait pris le pouls, j’ai pris contact avec le Dr Jacquey.

Je l’ai trouvé dans une ignorance quasi totale de ce qui avait changé depuis. Mais apprenant qu’il faisait partie d’un cercle d’intellectuels militant pour le rapprochement des deux rives, prêts à la réconciliation dans la repentance et le pardon, loin, très loin des hagiographes du colonialisme, je l’ai invité avec son épouse à revoir ses campements.

C’est ainsi qu’il a pu faire le voyage avec Marie-Jo son épouse, et trouver les vestiges de ses deux infirmeries, à Kef Lahmar et à Arbaouat. À Arbaouat où un sourd muet, âgé alors de 10 ans, et lui ont tous les deux sauté de joie en se reconnaissant après 50 ans. Cet orphelin dont le grand père avait refusé le placement (arrangé par l’infirmier Jacquey) dans une école spécialisée à Oran, a maintenant foyer, famille et situation. Le Dr Jacquey a aussi retrouvé Maamar, l’un des quatre prisonniers affamés dans la soute à munitions dont il avait parlé à ses parents. Il a été désolé de l’Alzheimer de Bachir, le moujahid connu chez les parents Jacquey pour avoir simulé la folie après son premier tabassage, folie qu’après l’avoir soigné, l’infirmier, et profitant de l’absence de tout médecin au village, certifia pour le soustraire à de nouveaux interrogatoires.                                                                                      

Le passage du couple Jacquey à Kef Lahmar et à Arbaouat a coïncidé avec les crues qu’a connues la wilaya, mais les routes coupées et les sinistrés des deux communes n’ont pas empêché l’émerveillement du Docteur ; il m’a plusieurs fois dit comme son émotion était grande en voyant la bonne santé des bambins, leur habillement chaud et leur évidente joie de vivre ; alors qu’il les avait laissés, en 59-60, pour certains pieds nus dans la neige, les yeux abîmés par le trachome, en proie à la faim et aux épidémies ; tout content de lui d’avoir pu ramener leur mortalité à un décès tous les deux jours... une performance !

Il n’a retrouvé de son infirmerie à Kef Lahmar que les deux marches et le parterre cimenté ; mais il était tout heureux d’apprendre qu’il y a aujourd’hui deux médecins au centre de santé et qu’une polyclinique est en construction.

A Arbaouat, face à la tour de guet, – en rencontrant le médecin et les infirmiers du bourg, il l’a constaté sans regret –, son infirmerie est démolie et avec elle, tout le camp qui a laissé place à des îlots d’habitations électrifiées !... Qui aurait parié il y a cinquante ans que les tentes en poil de chameau se transformeraient en maisons branchées sur le gaz naturel ?!

Une petite semaine à El Bayadh, (dont deux nuits à El-Abiodh Sid Cheikh pour cause de crue), ne saurait suffire pour le couple Jacquey de voir tout ce que recèle la région de trésors touristiques ; mais ce voyage n’était pas pour le tourisme mais pour l’évocation, le pèlerinage et surtout pour s’assurer que les engagements et les prises de positions du jeune infirmier, n’étaient pas vaines. Ainsi, il réembarque à Oran résolu à s’engager d’avantage dans le cercle des « Hommes-passerelles » ; ceux que l’Histoire a conforté dans leur choix et engagement.

Dans la poche du Dr Jacquey il y avait, entre autres, un « avis de recherche », qu’un moujahid, polytraumatisé par une mine, souhaite transmettre à un autre “juste” afin de le remercier : un légionnaire qui l’a sauvé de ses tortionnaires du 2e Bureau, à Aïn Séfra, fin 60-début 61, et dont il n’a retenu que le nom prononcé à sa manière : le capitaine-médecin Troupe, ou Traupe, ou Traube ou Troube.

                                                                                                                                 Par Dr Cheikh Achrati, médecin  , Quotidien d’Oran le 17 nov 2008
                                                                                                                                          
 
 
 
 

Commentaires (3)

Xavier Jacquey -  Sur : XAVIER JACQUEY UN INFIRMIER A EL BAYADH
  • 1. Xavier Jacquey - Sur : XAVIER JACQUEY UN INFIRMIER A EL BAYADH | mercredi, 08 janvier 2020
Tahar, je trouve bien tardivement ce vieux message. De fait j'ai été très touché de l'excellent accueil reçu aux Arbaouets, malgré tout le mal que les autorités françaises vous ont fait subir et dont je vous demande encore pardon. Et très heureux de retrouver vos deux oncles : Maamar en grande forme, et Bachir prêt à mourir, lui que j'avais pu un peu protéger de nouvelles tortures. J'ai des photos d'eux tous qui me sont d'autant plus précieuses qu'un AVC m'empêche de voyager. Merci néanmoins de votre invitation à laquelle je suis sensible.
Fil amman asaabi. Xavier
Noureddine ( webmestre Nostalgie )  -  Sur : XAVIER JACQUEY UN INFIRMIER A EL BAYADH
  • 2. Noureddine ( webmestre Nostalgie ) - Sur : XAVIER JACQUEY UN INFIRMIER A EL BAYADH | lundi, 25 mars 2013
Chapeau à ce grand Monsieur qui a dénoncé avec force et courage les exactions et crimes de l'armée d'occupation
Mokeddem Tahar  -  Sur : XAVIER JACQUEY UN INFIRMIER A EL-BAYADH!
  • 3. Mokeddem Tahar - Sur : XAVIER JACQUEY UN INFIRMIER A EL-BAYADH! | lundi, 25 mars 2013
Bonjour xavier jacquey, J'étais très content que vous soyez retourné aux Arbaouets. Je voudrais vous inviter à visiter Méchéria où j'habite ; c'est pour vous dire que les HEMICI Maamar et Bachir sont mes oncles maternels. Je n'oublierai pas votre sympathie. Je connais Mr BRUNO IDKOWIAK ancien appelé ayant passé son service à Méchéria 1960-1961, je l'ai invité il est venu 3 fois et je suis en contact régulier avec lui, ce dernier habite à Bully les mines et un autre ami celui ayant habité Méchéria et se trouve tout juste près de chez vous à la GARDE environ 30 km de TOULON; TOUTES MES AMITIÉS

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