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LES J'RAMNA - UNE TRIBU REBELLE
L’EPOPEE UNE TRIBU
LES J’RAMNA
Le 4 septembre 1928, un arrêté du Gouverneur Général de
l'Algérie réintégrait dans la Tribu des Ouled Ziad Cheraga,
appartenant à la
Confédération des Traffi, la fraction J’ramna qui l'avait abandonnée quarante
huit ans plus tôt pour se
lancer dans une étonnante aventure.
Celle-ci, selon l'humeur du lecteur apparaîtra comme une
sorte de western saharien au cours duquel une tribu nomade
s'enfonce de plus en
plus dans le désert pour sauvegarder sa liberté, avant de revenir, après un
long périple, sur les terres
de ses ancêtres ; ou bien il trouvera matière à
tragédie grecque et se remémorera Ulysse et ses compagnons fuyant devant
la
colère d'Héra.
Soyons plus précis et examinons ce qui conduisit les
J’ramna à assassiner un officier français, le 21 avril 1881, puis à gagner
successivement le Sud-Marocain, la région d'El-Goléa, le Gourara, le Touat,
Aoulef, les Touareg Ajjer, Ghadamès, le Fezzan,
pour finalement revenir aux
environs d'El Abiod Sidi Cheikh, en passant par le Sud Tunisien et les régions
d'Ouargla et d'El Goléa.
En 1881, le Sud Oranais échappait encore au contrôle de
l'administration française. On trouvait bien un Bureau Arabe à Géryville,
mais
son influence ne dépassait guère soixante kilomètres à la ronde.
Les postes de
Méchéria, Ain Sefra,du Khreider, n'existaient pas. Une maigre garnison de
disciplinaires de la Légion occupait le
bordj de Sfissifa ; son rôle politique
était nul. On ne disposait que d'une seule piste carrossable reliant Géryville
à Saïda.
Tous les transports se faisaient encore à dos de chameau.
Dans ces immenses étendues, les tribus vivaient comme elles
avaient vécu à l'époque turque, estimant, l'impôt payé, pouvoir agir
à leur
guise.Or, ces tribus étaient loin d'être paisibles. Sous la
conduite de leurs Chefs religieux, les Ouled Sidi Cheikh, elles s'étaient
révoltées
en 1864 ; et si la majorité d'entr'elles, dont les J’ramna, était rentrée en 1866,
quelques familles étaient
encore en dissidence sur les confins Algéro-Marocains ou dans
l'Extrême Sud (1.)
- Cette Confédération maraboutique était divisée en deux
tribus ; les Ouled Sidi Cheikh Cheraga,
- vivant en territoire Algérien et
les Ouled Sidi Cheikh Gheraba
Les contacts fréquents avec ces insoumis entretenaient un
esprit de rebellion larvé qui n'attendait que l'occasion pour s'affirmer par
les armes.A partir de l878, une série d'incidents caractéristiques se
produisait.
D'abord, le jeune Si Hamza, héritier direct de la baraka
des Ouled Sidi Cheikh, quiv enait de rentrer dans les territoires contrôlés par
l'administration française,s'évadait vers les confins Algéro-Marocains. Ensuite, à
l'annonce de l'établissement d'une voie ferrée à travers
leurs territoires, les Traffï
bloquaient à Tyout la mission d'étude du Transsaharien qui devait rebrousser
chemin devant l'hostilité des tribus.
Mais surtout l'action d'un jeune marabout, Bou Amama,
allait raviver les vieilles espérances. Ce saint personnage, né vers 1838/40, était
d'origine très modeste. Il appartenait aux Ouled Sidi Taj, fraction des Ouled Sidi
Cheikh Gharaba. Son grand-père avait joui, cependant,
d'un certain prestige religieux.
En 1875, il se fixait à Moghar, en territoire algérien où sa piété le fit remarquer.
En 1878, il y fondait une
zaouïa et commençait, selon l'usage, à envoyer des
missionnaires dans les tribus.
Poursuivait-il un but religieux ou un but politique ?
Les renseignements recueillis sont contradictoires car les
événements qu'il déclencha servirent de prétexte à polémique dans la presse
algérienne. Le parti civil en fît un agitateur sans scrupule, le parti
militaire un honnête marabout qui aurait mal tourné (2.)
De toutes façons,
c'était jouer avec le feu et cette prédication religieuse glissa rapidement à l'appel à la révolte.
L'administration militaire signalait bien le danger mais le
Gouverneur Général,Albert Grevy, avait proclamé en 1879 que "l'ère des
insurrections était close" et il lui était difficile de se déjuger en
organisant une expédition dans le Sud-Oranais. Bou Amama put ainsi
développer en
toute tranquilité son action. Ses moqqadem avaient reçu un excellent accueil
chez les Traffi et particulièrement chez les
J’ramna des Ouled Ziad (3.) Un de
ces derniers, Tayeb el Jermani, avait même été chargé d'aller à son tour porter
la bonne parole chez
Ouled Addou du Cercle de Tiaret.
Au début de 1881, cependant, les renseignements affluent
rapportant l'imminence d'un soulèvement. Le 3 mars, 1 1 familles d'Ouled
Sidi
Cheikh Gharaba, entrées en territoire algérien en 1877, vont rejoindre Bou
Amama. Survient, le 13,l'annonce du massacre de la Mission
Flatters qu'apporte un
Chambaa d'Ouargla.
Le 6 avril, le Bachaga de Frenda, Si Ahmed Ouled Cadi, dont
la loyauté est connue, annonce que Bou Amama a envoyé des émissaires
dans
les tribus pourprêcher la guerre sainte.Cette fois, on s'inquiète en haut lieu, d'autant que la
prochaine campagne de Tunisie a vidé
l'Oranie de ses troupes (4,) On convoque les
Caïds pour les inviter à secouer leur torpeur et ordre est donné aux Officiers des
Bureaux
Arabes d'arrêteren tribu les émissaires du Marabout.
Dans le Cercle de Géryville, l'attention se porte sur la
fraction des Jramnadont les deux chefs Eddin ben Mohammed et Dahmane ben
Cheikh sont acquis à
3. Les Djeramna
se composaient de 2 sous-fractions :
— Djeramna
proprement dits
— Djeramna El
Aouachir.
4. Les
opérations commencent le 24 avril 1881.
Bou Amama et dont est originaire le moqqadem Tayeb el
Djeramni. L'opération est délicate et il est certain que l'envoi d'officiers sans
troupes au milieu de tribus en semi rebellion frise l'inconscience (5.) Pour comble de
malchance, Géryville n'asous la main qu'un jeune sous-lieutenant, affecté depuis
peu aux affaires arabes,ne connaissant pas les réactions des nomades. Aussi, avant
d'être envoyé le
S/Lieutenant Weinbrenner est-il longuement chapitré. On lui
adjoint un maréchal des logis confirmé, Lakhdar Ould bou Arfa et trois spahis.
Pour plus de sûreté, son chef lui demande d'agir en liaison étroite avec le Caïd
de la tribu.
Malheureusement, rien n'y fera. Weinbrenner, esclave de la
consigne, exige la?livraison d'Eddin et de Dahmane, Tayeb étant encore chez
les Ouled Addou.
Ceux-ci font mine d'accepter et alors que l'officier et ses
spahis goûtent aux dattes et au lait du repas de réconciliation, ils sont
assaillis par
leurs hôtes. Eddin assomme Weinbrenner ; deux spahis sont tués, le maréchal
des logis et le Caid desOuled Ziad Cheraga, qui avait rejoint l'officier, sont
blessés mais parviendront às'enfuir.
Il est assez difficile d'expliquer l'attitude des J’ramna en l'occurence. D'abord les circonstances du meurtre. On ne tue pas un hôte
à qui
l'on offre le lait et les dattes. On attend au moins qu'il ait quitté le
campement.
D'autre part, cette initiative n'est pas conforme aux plans
des conspirateurs. Il est certain que Bou Amama n'envisageait pas de
soulèvement
avant que les récoltes ne soient rentrées, c'est-à-dire, la fin mai.
Cette erreur le contraindra à piller en automne les silos de tribus
sympathisantes, les
rendant aussitôt hostiles à sa cause.
Ce fut, pensons-nous, un concours de hasards malheureux :
inexpérience de Weinbrenner qui choque les J’ramna, (6) exhaltation
religieuse
de ces derniers et refus des deux chefs d'être arrêtés avant le déclanchement
de la révolte qu'ils appellent de tous leurs voeux.
Toujours est-il que sitôt les cadavres dépouillés, on
rassembla les troupeaux, on démonta les tentes et bientôt J’ramna et J’ramna
Aouachir,
en une longue caravane, s'enfoncèrent vers l'Est, La grande aventure
commençait.
Dans l'esprit des J’ramna, leur action devait être le
signal de la grande insurrection victorieuse, aussi se dirigèrent-ils vers les
Harrar du
Cercle de Tiaret, qu'avait "travaillés" leur contribute, Tayeb el Djeramni.
Mais ces derniers gardèrent une attitude expectative.
Seuls, les Ouled Addou qui
hébergeaient Si Tayeb les suivirent. Ils se dirigèrent alors vers le sud pour
rejoindre Bou Amama.
Nous n'avons pas à faire ici l'historique de ce que l'on a
appelé la révolte de Bou Amama. Disons en gros que les responsables militaires,
du fait des départs de troupes pour la Tunisie, ne purent tout d'abord opposer aux
insurgés que des goum assez indécis.
Peu à peu, la situation s'améliora. Les
trois incursions de Bou Amama dans les zones soumises firent long feu. Mais il
put assurer le
5. Ce fut au moins l'opinion des intéressés.
6. C'est ainsi qu'il avait déchiré le rideau
séparant la partie réservée aux femmes dans la tente de Tayeb
el Jermani pour
voirsi ce dernier ne s'y cachait pas.
journal de route à la date du 21 janvier 1886 l'apparition
de quelques J’ramna : "Encore une alerte. Six hommes des Ouled Boudouïa et
des J’ramna sont venus s'installer à 2 km à l'est de Semotals". .
Ainsi, la mort du Lieutenant Palat se trouve liée, elle
aussi, au destin des J’ramna, bien qu'ils n'aient été certainement pour rien
dans cette
affaire. L'Administration française venait d'intimer entre temps à
Si Kaddour l'ordre d'accompagner le Lieutenant Palat et de se séparer
des tentes
J’ramna, sur qui pesait toujours l'assassinat de 1881. Pour Palat, il était
trop tard. Mais pour les J’ramna il lui convenait de
prendre une décision.
Il est difficile de savoir quelle fut la réaction intime de
Si Kaddour. On doit simplement constater, à partir de mars, une remontée des
tentes J’ramna vers le nord. Etait-ce l'effet de l'ordre de Si Kaddour ?
Etait-ce la reprise d'un traditionriel mouvement
d'estivage,
légèrement anticipé, vu les circonstances ? Toujours est-il que
cette incursion, en ordre dispersé, vers le nord fut, pour les J’ramna,
l'occasion de constater que l'administration française n'avait pas oublié le
meurtre de 1881.
En effet, peu après, cinq tentes de J’ramna qui s'étaient
jointes aux troupeaux des Saïd Otba, d'Ouargla, étaient enlevées par le
Makhzen
de Ghardaîa.
Deux tentes pouvaient s'échapper grâce à la complicité des
Chambaa Brezga, mais les trois chefs de tente restant : Bou Hafs ben el
Arbi,
Naïmi ben Cheikh et Larbi Ould Mohammed furent envoyés en Corse, au pénitencier de
Calvi
Un sort analogue failli être celui des neuf tentes J’ramna
campées au début mai entre Sbei et Hassi Bou Zid. Comme cette zone dépendait
de
la Division d'Oran, le Makhzen de Ghardafa demanda l'autorisation au Gouverneur
énéral,par télégramme du 11 mai, de procéder au
coup de main. Mais le
Gouverneur crut à son tour devoir prendre l'avis d'Oran. D'où un échange de
télégrammes relevant de la pure
tradition courtelinesque. Finalement le 17 mai,
latitude était donnée à Ghardaîa d'enlever le campement à condition de
s'assurer auparavant
qu'il ne renfermait que des J’ramna. Le temps de s'en
assurer, les J’ramna avaient évidemment décampé
Finalement, il semble que les J’ramna ainsi dispersés se
regroupèrent autour de Si Kaddour, qui venait à son tour en estivage dans le
nord,
mais en restant à une ertaine distance pour sauver les apparences. Ainsi,
en juin, un informateur décompte 52 tentes J’ramna à proximité
des 169 tentes
du campement de Si Kaddour.
D'autres détails fournis par lui permettent de constater l'état
de pauvreté où sont tombés les J’ramna. Ils n'ont, avec un groupe de Chambaa
dissidents, que 80 chameaux et 6 chevaux.Cette situation allait durer encore un mois.
Finalement par dépêche du 15 juillet, Si Kaddour était
avisé que les subsides qui lui étaient versés depuis l'accord de 1883 seraient
bloqués
tant que les J’ramna resteraient avec lui.
Si Kaddour fut certainement sensible à cette menace, mais
il semble qu'il ait surtout cédé aux pressions des Ouled Hamza ralliés.
Ceux-ci
avaient vite compris que les autorités françaises ne pouvaient passer l'éponge
sur le meurtre de Weinbrenner étant donné
l'exploitation politique faite de la
révolte de Bou Amama par le parti des "civils".
D'autre part, toute compromission entre les Ouled Sidi
Cheikh et les J’ramna empêchait l'aboutissement du grand projet que l'on
caressait depuis longtemps à Alger, et dont les Ouled Sidi Cheikh ne pouvaient
que profiter. Il s'agissait, en effet, d'utiliser l'influence
des Ouled Sidi
Cheikh dans certaines zones sahariennes pour amener les populations locales à
se rallier à la France. Cela se traduisait
par l'accroissement des
Commandements, des dignités, des subsides et le rétablissement de la situation
matérielle des Ouled Hamza,
ruinés par la révolte de 1864.
Si Eddin, frère rallié de SiKaddour, avait déjà proposé en
octobre 1885, de capturer les J’ramna, alors qu'ils étaient au Touat. Estimant
que l'opération présentait plus d'inconvénients que d'avantages, Alger refusa.
En 1886, Si Eddin renouvelait sa proposition et suggérait,
au cas où elle ne
serait pas retenue, que l'on intime fermement à Si Kaddour l'ordre de les
chasser. Ce dernier, pour son honneur, mit
assez longtemps à se décider et ce n'est qu'en
octobre qu'il leva sescampements d'Hassi bou Zid pour l'Oued Gharbi, tandis que
les
J’ramnas'enfonçaient dans le Gourara (20.)
Le problème de l'avenir se posait désormais pour eux et
pour eux seuls.
Qu'allaient-ils devenir ?
Ils ne pouvaient revenir sur leurs anciens territoires
contrôlés par la France.
Le Gourara et le Touat, soumis aux Ouled Sidi Cheikh leurs
étaient également interdits, à . l'exception peut-être de la zone de Deldoul
qui reconnaissait Bou Amama. Mais leurs rapports avec ce dernier étaient,
semble-t-il, médiocres depuis 1 882. Il n'était pas non plus
question de passer au
Maroc. Les Ouled Djeriret les Doui Menia n'oubliaient pas les razzia de 1882-1883.
Les Chambaa d'autre;part
étaient trop divisés entr'eux pour offrir longtemps un
refuge. Ils étaient enfin dans l'orbe religieux des Ouled Sidi Cheikh.
Tout bien pesé, les J’ramna résolurent d'aller à Deldoul
chez Bou Amama.
Mais pour certains, ce n'était qu'une solution provisoire.
Déjà en octobre, ils envisageaient une solution beaucoup plus radicale,
l'émigration
chez les Touaregs.
Pourquoi les Touaregs ? Parce que dans tout le Sahara les
Touaregs sont alors les seuls à apparaître comme les adversaires
irréconciliable
des Français. Le massacre de la mission Flatters a soulevé
l'enthousiasme des irréductibles, d'autant plus qu'il a été présenté comme
l'extermination d'une armée française. Ce ne sont pas, d'autre part, des
inconnus. Des caravanes touarègues viennent assez régulieremen
au
20. Lettre du 1/11/1886. - Si Kaddour fera
d'ailleurs toujours preuve de la plus
grande réserve vis-à-vis des autorités
françaises. Il continuera de protéger les J’ramna Aouachir et devra attendre
plusieurs
années le rétablissement de sa subvention
Seuls ils échappent à
l'influence religieuse des Ouled Sid-Cheikh qui rend les Chambaa douteux et les
Ksouriens hostiles.
Il semble cependant certain que si les J’ramna avaient pu
s'entendre avec Bou Amama, la tribu (car ils forment désormais une tribu
indépendante) seraitrestée dans le Gourara de Deldoul. Il n'en fut rien. Fin
novembre, une partie des J’ramna quittait Deldoul pour se
rendre au Touat par Sali
et Bou Ali . Lesautres restaient autour de Bou Amama, faute de mieux. Le
bruit courait cependant qu'ils
comptaient se rendre ultérieurement en Tripolitaine
en se joignant à lacaravane des pèlerins de La Mecque. Les mois passèrent.
Puis en juin 1887, la majeure partie de la tribu allait se regrouper dans le
Touat méridionnal à l'appel du Cheikh d'In Salah, Si El Hadj
Abd-el-Kader Bajouda. Ce
dernier apparaissait,au même titre que les Touaregs, comme un adversaire
irréconciliable de la France .
Bien que la chose n'ait pas été prouvée, il est à peu près
certain qu'il avait été l'instigateur de l'assassinat du Lieutenant Palat en
1886.
Il est évident que cet appel s'inscrivait dans une politique de défense de l'oasis
contre une attaque française.
Or, les J’ramna ne tenaient pas du tout à se
voir confronté aux armées françaises, se doutant bien qu'ils feraient toujours
les frais de
l'accord final.
C'est à cette époque, dans le Touat méridional, que fut
prise la grande décision : le passage chez les Touaregs, dont on discutait
depuis
plusieurs mois, fut approuvé par la majorité, mais non par la totalité
des J’ramna. Ce départ n'était pas une petite affaire. Sans parler des
fatigues
du voyage, c'était l'entrée dans un monde saharien, bien différent de celui
qu'ils connaissaient. La langue, les moeurs, les races
n'étaient plus les
mêmes. Aussi est-il naturel que ceux des J’ramna qui se jugeaient les moins compromis
vis-à-vis de l'autorité française,
et en particulier, les J’ramna el Aouachir,
aient renoncé au saut dans l'inconnu et décidé de rester sous la protection
lointaine de Si Kaddour
ailleurs par rentrer sur leur ancien territoire,
l'aman ayant été accordé, mais les Autorités françaises, par prudence, les
rattachèrent
non à leur ancienne Tribu, les Ouled Ziad Cheraga, mais aux Ouled
Sidi Bou Hafs .
Certains, enfin, préférèrent tenter leur chance
individuellement sur les confins algéro-marocains, avec Bou Amama. En 1889, un
J’ramna
figure dans un rezzou de dissidents Chambaa conduit par le fameux Bou Khechba qui,
parti de Tabelkoza, dans le Gourara,
enlève sur la piste Ghadamès-Ghat, un
convoi de chameaux fezzanais conduit par des Touaregs Ajjer. On
capturera, en décembre
1896, un jeune J’ramni dont les parents avaient rejoint Si
Slimane. Son cas fera l'objet d'un examen approfondi, mais il échappera au
pénitencier étant donné qu'il n'avait que cinq ans lors de l'assassinat de
Weinbrenner.
De toutes façons, le départ pour le Sahara oriental n'était
pas une petite affaire. Il convenait en particulier d'avoir un cheptel camelin
suffisant. Or, nous avons vu que celui des J’ramna était des plus médiocres. On
peut donc supposer qu'ils firent le nécessaire pour se
procurer les animaux
indispensables en les prenant où ils les trouvaient. La tradition orale des
J’ramna, recueillie par le Lieutenant de
Bruce, lorsde leur retour en 1926,
semble confirmer la chose .
D'après celle-ci, ils furent "très mal accueillis par
les gens du bas Touat où ils ne restèrent que deux mois, parlant en maîtres et razziant
à
l'occasion". On peut penser que la région d'Aoulef eut spécialement à souffrir
de leurs exactions. Puis,leur caravane constituée, les
j’ramna prirent la piste de
Messeguem, avec, comme but lointain, l'oasis de Témassinine En janvier 1888, des migrants étaient arrivés
au Fezzan,
chez les Ouled Boucif.
Jusque là les autorités françaises avaient pu suivre grosso
modo les déplacements de la Tribu. A partir de ce moment, un rideau tombe
sur
ses agissements.Seule la tradition orale nous fournit quelques vagues
précisions. Et il convient de l'accueillir avec réserve.
Selon elle, en effet, les
Touaregs auraient, au début, reçu avec cordialité les J’ramna, mais peu à peu, les choses
vont se gâter :
"A leurarrivée, ils s'entendent très bien avec eux, mais
rapidement ceux-ci (les Touaregs) deviennent exigeants et prennent l'habitude
de se servir de
leurs chameaux comme s'ils leurs avaient appartenu". A certaines fêtes,
racontent les J’ramna, les Touaregs leur enlevaient
leurs animaux les plus gras sans
jamais parler de les payer Aussi, les J’ramna cherchent-ils à s'éloigner de ces
protecteurs trop avides et
finissent par se fixer dans la région de l'Oued Tarât, en
bordure du Fezzan. Là ils prennent l'habitude de se ravitailler à Ghat ou dans
les
Oasis tripolitaines et,cédant aux avances des autorités turques, ils finissent par
s'établir dans cetteprovince.
La tradition J’ramna évoque avec émotion cette époque bénie
: "Les J’ramna", écrit de Bruce, "parlent toujours avec plaisir
des heureuses
années qu'ils passèrent sous l'autorité toute nominale du Sultan
de Constantinople. Ils vivaient alors à leur guise, sans contrainte aucune,
sans impôts, sans caïd . . . Les J’ramna allaient acheter à Ghadamès quelques
articles manufacturés venant d'Europe et recevaient du
Soudan, par caravanes,
les nègres, la poudre d'or et les étoffes dont ils pouvaient avoir besoin .
Les documents dont nous disposons pour la période
postérieure nous laissent assez sceptiques sur l'indépendance réelle des
J’ramna.
Il est également étonnant qu'à leur arrivée parmi eux, les Touaregs
n'aient pas été tentés de monnayer la protection accordée.
Nous pensons qu'ils
affectèrent implicitement aux j’ramna le statut de tribu vassale, mais libre,
ce qui expliquerait les prélèvements
désinvoltes opérés sur son cheptel. Et la
preuve en serait qu'on les voit par la suite continuellement marcher aux côtés
des Touaregs Imanghassaten, et ce jusqu'à leur retour en territoire algérien.
Les Imanghassaten constituaient un des trois clans nobles
des Ajjer. C'était à eux qu'appartenaient, par tradition, les pâturages de
l'Oued
Tarât où nous voyons les j’ramna s'installer avant de passer en
Tripolitaine .Il est donc probable que l'alliance qui semble avoir été la leur,
comportait une certaine subordination de la part des J’ramna. L'attitude de ces derniers, lors de la
séparation de 1926, apporte encore de
l'eau à notre moulin, comme nous le
verrons plus loin.
De toutes façons, les motifs d'entente étaient nombreux.
D'abord ces Imanghassaten étaient fortement arabisés. On les disait d'ailleurs
descendants des Megarha, arabes de l'Oued Chiatti, au Fezzan . Ensuite, ils
apparaissaient comme les plus hostiles à la France de tous
les Ajjer .On leur attribuait avec raison le massacre
des R.P. Richard, Morat et Pouplard, à quelques kilomètres de Ghadamès en 1882
En 1924, plutôt que de se soumettre aux autorités de Fort Flatters, une partie
d'entr'eux fera soumission aux Italiens de Ghadamès.
Pendant près de vingt ans J’ramna et Imanghassaten allaient
partager la bonne comme la mauvaise fortune, au Fezzan et le long des
confins
algérotripolitains.
Néanmoins les J’ramna n'appararaissent pas dans les
archives de la décennie 1887-1897, alors qu'elles signalent, lors des rezzou et
contre rezzou, diverses tribus fezzanaises, sans parler des fractions touarègues
sur lesquelles nous sommes désormais bien renseignés.
Faut-il penser que les J’ramna,
encore inquiets, préfèrent se tenir loin des zones soumises et commercer entre
Mourzouk et le Soudan.
Ou bien les services français ne les ont-ils pas
encore identifiés ?
Ce n'est semble-t-il
qu'à partir de 1 895/6 que la tribu glisse vers la Hamada el homra et la
frontière algéro-fezzanaise.
Peut-être font-ils partie du rezzou qui, à la fin 1895,
enlève 800 chameaux à une fraction Ifoghas allant faire soumission aux autorités
d'Ouargla.
C'est à cette remontée vers nos postes que l'on doit de
retrouver dans les archives le nom des J’ramna après une éclipse* de près de
10
ans : En mai 1897, ils font partie d'un rezzou au sud de Berresof, sur des
tribus tunisiennes soumises.
Désormais nos services les suivront à la trace.
En juillet de la même année, la tribu est signalée aux
environs de Derdj avec les Imanghassaten et 12 tentes de dissidents Chambaa (37.)
En février, des J’ramna enlèvent des troupeaux
au sud de Ouargla. Craignant l'incident, les autorités turques tentent de les
intercepter,
tandis qu'un goum français en profite pour faire une incursion au Fezzan
En 1898, un groupe d'Imanghassaten et de J’ramna assassinent
deux Chambaa d'El
Oued qui s'étaient infiltrés près de Derdj. Ce meurtre provoquera le grand
rezzou de 1900 où les Chambaa enlèveront,
sur la Hamada el Homra, les troupeaux
des J’ramna et Imanghassaten. La perte dut être particulièrement lourde car le
Cheikh des j’ramna
maudit à cette occasion les Chambaa d'El Oued et abandonna
la confrérie religieuse des Qadrya, à laquelle ces derniers étaient également
affiliés, par représailles Ce rezzou était d'ailleurs, en quelque sorte un
rezzou officiel. Il avait été autorisé par les autorités françaises.
En effet,
les exactions des tribus des confins s'intégraient peu à peu dans des querelles
nationales et entraînaient immanquablement des conséquences diplomatiques.
La convention franco-anglaise du 21 mars 1899, avait laissé
le Sahara Oriental à la France, tout en confirmant les droits de la Turquie
sur
la Tripolitaine et son hinterland. Mais qu'était cet hinterland ?
Pour les tribus jusque-là indépendantes, cela signifiait
que leurs zones de sécurité allaient se rétrécir comme peau de chagrin.
La
prise d'In Salah, le 31 décembre 1899 avait matérialisé la menace. Les Hoggar
avaient été particulièrement touchés car ils se
ravitaillaient en dattes au
Tidikelt. Mais pour tous c'était la crainte d'avoir à rendre des comptes pour
les meurtres d'Européens restés
impunis au cours des dernières années : Mission
Flatters, Pères Blancs et plus récemment Marquis de Mores.
Aussi, un grand rassemblement réunissant Hoggar et Ajjer,
se tint-il en 1901 entre Tarât et Ghat, pour décider de la conduite à venir.
Les J’ramna participent à ce conseil de guerre, ce qui prouverait, s'il en était
besoin, leur intégration à la Société Targuie .
A cette occasion, la lutte à mort est décidée et un appel lancé au Pacha de Tripoli. Pour la Turquie, l'hinterland de la Tripolitaine s'étend
en effet sur le pays Ajjer et le Hoggar méridional qui assure la
liaison avec l'Air et le Soudan et le fructueux commerce transsaharien dont
Ghadames est la plaque tournante. On pouvait donc penser qu'elle s'opposerait
aux ambitions françaises.Malheureusement, le combat
imprévu de Tit (7 mai 1902)
entraîne la défection des Hoggar. Les Ajjer n'ont plus qu'à se réfugier en
Tripolitaine.
37. Derdj est une oasis fezzanaise à l'est de
Ghadames.
Les J’ramna et les Imanghassaten campent alors au sud de
Mourzouk. Mais ce sont des voisins incommodes et devant l'hostilité des
Fezzanais,
ils doivent regagner leurs anciens terrains de parcours de Derjd et de la
Hamada el Homra. Puis se trouvant sans doute trop
près des Chambaa d'ElOued, ils
remontent chez les Ouled Zentan, dans le Djebel Tripolitain.
L'administration turque, pour soutenir ses prétentions, se
trouve désormais dans l'obligation de les défendre. Alors qu'autrefois un
rezzou n'entraînait qu'un contre rezzou, la même opération déchaîne maintenant
une pluie de notes diplomatiques. Dans un aide mémoire destiné
à fournir les
éléments de réponse au Ministre des Affaires Etrangères, le Général Monnot,
commandant la Division de Constantine
énumère les différents groupes de
dissidents réfugiés sous le pavillon Ottoman, qui sont à l'origine de la
plupart des incidents. Et ne soyons
pas étonnés s'il cite en premier lieu les
J’ramna : "1) Les J’ramna de Geryville, meurtriers du Lieutenant
Weinbrenner qui se sont enfuis du Territoire algérien après l'insurrection de
Bou Amama. Bien que peu nombreux et par suite peu redoutables, ils ne nous en
témoignent pas
moins leur haine chaque fois qu'ils le peuvent. Leur dernier
exploit a été l'assassinat enjuillet 1900, à une journée de Ghadamès, du nommé
El Hadj
Mohammed Bekkar ben bou Khechime, des Achèches, qu'ils savaient être un des
émissaires que nous chargions de recueillir des renseignements sur l'affaire de
Mores".
Dans le même aide-mémoire, le Général Monnot rappelait que
les Iman ghassaten n'avaient aucun droit à se prétendre sujets du Sultan
puisque leur territoire traditionnel relevait de la zone d'influence
française.
Cette argumentation était reprise par le Gouverneur Général
Jonnart, qui, après avoir énuméré les crimes et exactions reprochés
successivement auxJ’ramna, Chambaa dissidents, Zoua dissidents et Touaregs
des diverses confédér ations, ajoutait : "Si la Turquie
reconnaissait à ces
divers malfaiteurs, la qualité de sujets ottomans nous serions en droit de lui
présenter une note diplomatique au sujet
de leurs agressions continues".
Un état mentionnant six rezzou effectués par les intéressés, d'octobre 1901 à janvier 1904, était joint
à la
note. Il était visible que les autorités algériennes durcissaient leur position.
En mars 1905, J’ramna et Imanghassaten sont campés au
Fezzan, vers Terbou, à l'est de Mourzouk. Mais l'éloignement ne les met pas
à
l'abri des forces françaises. Celles-ci, sous forme d'un contre rezzou Chambaa,
pénètrent en Tripolitaine, puis au Fezzan, à la recherche
des douars
dissidents. Au retour, elles échappent
aux forces turques près d'Hassi Imoulay . Le Gouvernement français fera rendre
les
chameaux appartenant aux Fezzanais, mais repoussera les réclamations
présentées par les Ottomans au nom des J’ramna et des Imangh-
-assaten.
J’ramna qui se
rendait au Soudan.
Pour comble de malchance, les Turcs, campés à Hassi
Imoulay, ont pris, pendant un moment, les J’ramna qui tentaient de récupérer leur
bien
sur les Chambaa, pour les Chambaa eux-mêmes et ils leur ont blessé trois
hommes, les fils du meurtrier du Lieutenant Weinbrenner.
L'anarchie croissante régnant en Tripolitaine ne plaisait
pas cependant à tous.
C'est ainsi qu'en mai 1908 une petite fraction
Imanghassaten prenait contact avec les autorités françaises pour s'établir dans le Souf.
Mais
la chose n'eut pas de suite. Néanmoins, il semble que la leçon de 1905, montrant
que les Chambaa pouvaient, avec l'accord des
autorités françaises, pénétrer
au coeur du Fezzan, calma les ardeurs pillardes des J’ramna et des
Imanghassaten.
Les archives françaises ne signalent aucune incursion de leur part dans
les années suivantes.
D'un autre côté, la vigueur des réactions turques tempérait
les ardeurs des
Chambaa.
Alors qu'un modus vivendi semblait devoir s'établir, on
annonçait le 9 octobre 1911, la déclaration de guerre de l'Italie à la Turquie
et le
début des opérations militaires en Tripolitaine. Aussitôt, la France
occupait les points encore litigieux de la frontière, dont Djanet.
En juillet 1912, les troupes italiennes reprenaient
l'offensive, stoppée après la prise de Tripoli. Aussitôt, des J’ramna, campant le long de
la Tunisie, faisaient des ouvertures au Résident Général de France pour que la
tribu soit autorisée à franchir la frontière.
Les chiffres donnés alors sont de 65
tentes, 400 chameaux et 300 chèvres .
Tunis contacta Alger car les J’ramna, du fait
de l'assassinat du Lieutenant Weinbrenner, posaient un problème. Finalement, après
consultation de Géryville, on se mit d'accord sur une dyia (prix du sang)
de 6 000 F. Moyennant quoi ils pouvaient réintégrer leur tribu
d'origine, les
Ouled Ziad . Les négociations se poursuivirent mais il fallut attendre mars
1914 pour que des contacts soient repris ; en juin
on annonçait qu'un groupe de
195 individus et 4 négresses (sic), accompagné de 224 chameaux et de nombreux
troupeaux, se mettait en
marche vers la frontière Il ne devait jamais l'atteindre du fait des
dissentions régnant parmi les intéressés.
Ces hésitations des J’ramna s'expliquent assez bien, en
fonction des événements politiques du pays. Ayant lié leur sort à ces pillards
invétérés
qui constituent la fraction Imanghassaten, les J’ramna vivent au
milieu de tribus hostiles et ne se sentent en sécurité qu'auprès des autorités
turques.
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