SID CHEIKH III
Tombeau de Sid Ech-Cheikh
SID ECH-CHEIKH (page III et fin)
Mis en ligne le 09 Aout 2011
Modifiée le 24 février 2025
Vue panoramique de El-Abiodh Sid-Ech-Cheikh vers le milieu du dix-huitième siècle
Sidi Ech-Cheikh avait compris qu’un miracle lui faciliterait singulièrement la mission qu’il s’était donnée. Or, cette année, la sécheresse était grande dans le pays, et presque tous les puits et fontaines étaient taris. En arrivant chez les Bni-Deddouch, à l’est de Nedroma, il descendit de sa monture, et demanda qu’on la fît boire. On lui répondit qu’il n’y avait plus d’eau dans la contrée. « Eh bien ! dit-il, jetez-lui la bride sur le cou, et laissez la faire. » La mule, suivie par les grands de la tribu, gravit une montagne ; arrivée à son sommet, elle frappa le sol de son sabot, et elle en fit jaillir une source abondante qui coule encore.
Ne doutant pas, en présence de ce miracle, que le saint homme n’ait l’oreille de Dieu, les Bni-Deddouch essayèrent de retenir dans leur pays un puissant qui disposait ainsi à son gré des bénédictions du Ciel; mais Sidi Ech-Cheikh, qui n’avait eu d’autre but, en opérant. ce miracle, que de prendre pied dans la tribu des Trara, eut l’habileté de refuser d’accéder au désir manifesté par les Kabyles, lesquels, pour le faire revenir sur sa décision, lui firent des offres superbes, qu’il refusa avec une sorte d’indignation qui acheva de lui conquérir toute la tribu, car pas un d’eux ne se sentait capable d’une pareille abnégation et d’un tel désintéressement:
Mausoléede Sid Ech-Cheikh
« Je ne fais point commerce de la parole de Dieu, ô Kabyles ! et, en vous l’apportant, je n’y ai d’autre intérêt que le salut de vos âmes. » Les Trara étaient tout à fait émerveillés des vertus de Sidi Ech-Cheikh, et ces montagnards étaient désormais à lui.
Il voulut bien consentir à rester quelque temps parmi eux pour achever d’ouvrir leur pays aux oualis (saints), qui n’attendaient que le résultat de sa tentative pour s’introduire à leur tour, et sous sa protection, dans le massif trarien. D’ailleurs, la mule de Sidi Ech-Cheikh, qu’il consultait souvent quand il était embarrassé, n’était pas, d’avis qu’il s’éternisât dans ces montagnes ; elle avait la nostalgie des oasis et des palmiers, et elle ne s’était pas gênée pour faire connaître à son maître son opinion sur cette affaire, puisqu’il la lui avait demandée ; elle s’en expliqua par des signes et des braiments dont le saint avait seul la clef.
Sidi Ech-Cheikh donnait beaucoup de temps à la prière et à la contemplation ; pour y vaquer plus à l’aise, il se retirait dans des grottes ou cavernes, dont on a compté jusqu’à cent vingt.
Le saint homme mettait dans son ascétisme un raffinement qui laisse bien loin derrière lui les pieuses folies, les excès de dévotion des anachorètes chrétiens : ainsi, pour ne point céder au sommeil, il nouait à sa guethaïa (touffe de cheveux qu'on laisse d'un crâne rasé) une corde qu’il fixait en même temps au faite de sa cellule ; lorsque, vaincu par la fatigue, il s’abandonnait à l’assoupissement, cette corde, en l’empêchant de s’étendre sur la natte qui lui servait de couche, le réveillait infailliblement par l’effet de la traction douloureuse qu’elle exerçait sur sa touffe de cheveux ;il pouvait, dès lors, continuer ses entretiens avec Dieu.
Il est évident que c’était là de l’exagération, car si le Prophète a dit : « Et, dans la nuit, consacre tes veilles à la prière ; il se peut que Dieu t’élève, dans ces veilles, une place glorieuse », il n’a certainement pas prétendu que les Croyants dussent se passer de sommeil : car il n’est pas indispensable que nos sens soient éveillés pour nous entretenir avec Dieu, et c’est souvent, au contraire, le moment de leur repos, de leur inactivité, qu’il choisit pour nous envoyer ses révélations et s’entretenir avec nous.
La dernière des kheloua habitée par Ech-Cheikh était au pays d’Antar . Il y demeure cinq ans, cinq mois, cinq jours et cinq heures.
Cependant, Sidi Ech-Cheikh dut payer son tribut à la mort. Ce fut en l’an 1615 de notre ère, — 1023 de l’hégire,— âgé de soixante-douze ans, qu’il rendit à Dieu une âme dont il s’était si merveilleusement servi pendant sa longue existence de piété, de bonnes oeuvres et de pratique de toutes les vertus musulmanes. Ce fut à Stitten, ksar situé à cinq lieues à l’est d’El-Bayadh , qu’il termina sa vie et mourut
Les Stiteniens enveloppèrent ensuite le corps du saint marabout dans son burnous, et le déposèrent sous un thuya pour y passer la nuit.
Le lendemain, à, l’heure de la prière du fedjeur (point du jour), la dépouille mortelle de Sidi Ech-Cheikh fut de nouveau chargée sur la chamelle blanche, qui prit, sans hésiter, une direction sud-ouest. Elle marcha sans s’arrêter pendant tout le jour et toute la nuit, prenant les meilleurs chemins avec un étonnant instinct que ceux qui la suivaient ne pouvaient se lasser d’admirer. Bien qu’ils fissent la route à pied, nos Stiteniens n’en ressentaient cependant aucune fatigue. Ils n’en furent pas surpris un seul instant, car ils se doutaient bien qu’ils ne devaient cette miraculeuse disposition qu’à la puissante intervention de Sidi Ech-Cheikh.
Enfin, vers l’heure de la prière du dhohor du second jour, ils arrivèrent chez les Oulad-Sidi-Ech-Cheikh
Le ksar de Stitten vers le milieu du dix-huitième siècle
Les khoddam de Sidi Ech-Chikh accoururent en foule dès qu’ils surent l’arrivée des restes mortels de leur saint patron.
Les gens de Stitten les instruisirent des dernières volontés de leur chef vénéré, et leur racontèrent les prodiges dont ils avaient été témoins pendant leur voyage. Une fosse fut creusée sur le lieu même où la chamelle avait déposé la précieuse dépouille du saint homme. Mais qu’on juge de l’admiration et de la surprise des Oulad-Sidi-Ech-Cheikh quand, le lendemain, aux premiers feux du jour, ils s’aperçurent qu’une merveilleuse koubba, celle que l’on voit encore aujourd’hui, avait été élevée , sans le secours de la main de l'homme , sur la tombe de l'illustre saint homme
Dépouille de Sid Cheikh à dos de chamelle
C'étaient, disait-on, des anges qui avaient voulu se charger do cette besogne. Les singulières vertus de Sidi Ech-Cheikh l'élevèrent haut au-dessus des autres saints de sa race qu'ils tinrent a honneur do porter son nom et de se dire ses enfants; c'est ainsi que, réunis en tribu, ils.se firent appeler, après sa mort, OuIad-Sidi-Ech-Cheikh, et se groupèrent, autour de son tombeau, dans les cinq ksour qui composent l'oasis d'El-Abiodh-Sidi-Ech Cheikh. Le vénéré saint avait fondé à El-Abiodh une zaouïa qui n'avait, pas tardé à devenir célèbre et qui était fréquentée par un grand nombre de savants et de Croyants qu'attiraient auprès de lui sa réputation de sainteté, de science et de justice.
Il constitua à cette zaouïa, pour subvenir à ses frais d'hospitalité, des redevances qui, encore aujourd'hui, sont fidèlement payées par les descendants de ceux qui les consentirent lors de leur fondation. Mais, craignant, sans doute, que ses enfants, s'il leur laissait le maniement des ressources de cet établissement, n'en détournassent les revenus à leur profit au lieu de les employer en œuvres pieuses et en aumônes, il en confia l'administration à des Nègres affranchis. Il faut dire qu'à cette époque, les Nègres étaient, ce qu'ils sont loin d'être aujourd'hui, des serviteurs dévoués faisant partie de la famille de leur maître, et traités comme tels; aussi n'était-il pas rare alors que les grands personnages eussent plus de confiance en eux qu'en leurs propres enfants, et nous voyons, du reste, qu'aux yeux de Sidi Ech-Cheikh une lignée de Nègres valait mieux qu'une lignée de marabouts.
Entrée du ksar de Si Kaddour El Abiodh - Milieu dix-huitième siècle
Les temps sont, hélas bien changés, et les nègres qui ont aujourd'hui la garde de la zaouia et du tombeau du saint homme font tout juste ce que Sidi Ech-Cheikh craignait que ne fasent ses descendant c'est-à-dire qu'extrêmement avides pour recueillir les dons, ces abid ((serviteurs) mettent très peu d'empressement à obtenir aux pauvres et aux pèlerins qui visitent les tombeaux du vénéré cheikh et de ses enfants l'hospitalité qu'ils leur doivent
Il va sans dire qu'étant l'oeuvre de Dieu lui-même ou de ses anges la koubba sous laquelle repose Sidi Ech-Cheikh est la merveille de notre Sahara. C'est, en effet, un monument dépassant de beaucoup en dimensions et en art architectural ceux de ce genre qu'on rencontre dans l'étendue saharienne. Bien que d'origine céleste, cette chapelle funéraire ne saurait pourtant, au point de vue de l'art, bien entendu, donner la moindre jalousie à la mosquée de Cordoue on comprend de suite et sans effort que le Dieu unique n'a point voulu, en faisant trop beau, dégoûter du métier les maçons de l'avenir et leur faire jeter le manche après la truelle.
Marche de la colone de Négrier
Le commandant Shürr rentrant à El Abiodh le 14 Aout 1861
La koubba de Sidi Ech-Cheikh peut mesurer une dizaine de mètres d'élévation, dont trois pour la grande coupole, qui est taillée à huit faces, et sept pour la partie cubique. Aux quatre angles de la terrasse se dressent de petits dômes d'ornementation donnant une grande élégance au monument. On pénètre à l'intérieur de la chapelle par un escalier de quelques marches donnant accès dans une sorte de vestibule précédant le sanctuaire. Cette première partie de l'édifice, qui est soutenue par des colonnes, est ornée d'une glace à cadre doré qui jure un peu avec l'affectation du monument; des tableaux illustrés de versets du Coran en écriture polychrome, et dont l'un représente l'empreinte des pieds du saint homme, composent, avec la glace, tout le luxe ornemental de ce vestibule. Les murailles de la chambre funéraire sont absolument nues; la terrasse de cette partie de la chapelle est soutenue par quatre piliers s'épanouissant en arcades, et au centre desquels s'élève le tombeau de Sidi Ech-Cheikh.
Le tabout (cercueil), qui est entouré d'une galerie en bois sculptée à jour, est placé sous une tenture de mousseline de couleurs verte et jaune, terminée, dans le bas et latéralement, par de larges bandes d'indienne fleurie. Des tapis recouvrent le sol. On pourrait, sans trop de sévérité, reprocher aux Nègres gardiens du tombeau de les laisser par trop vieillir
De petites lucarnes, ne laissant pénétrer qu'un jour crépusculaire sur le tombeau de l'ouali, donnent à la chapelle funéraire quelque chose de mystérieux, qui ajoute encore au sentiment d'admiration dont on se sent involontairement pénétré, en présence des restes mortels d'un homme dont l'illustration a le don d'amener ainsi les foules de toutes les parties du Sahara autour de son tombeau
La koubba est renfermée entre les quatre faces d'un mur d'enceinte d'un mètre d'élévation, relevé en pyramidions à ses angles et sur le milieu de chacun de ses côtés.
Les khouan de l'ordre secondaire de Sidi Ech-Cheikh, ou des Chikhya, qui date de la mort du saint (i6i5 de notre ère), sont très nombreux dans toutes les tribus sahariennes; cet ordre compte des affiliés depuis les Hauts-Plateaux jusqu'au Gourara et an Touat:
le Maroc a aussi un certain nombre de Croyants qui sont fiers de se dire ses khodams et de réciter son dikr
La foule des pèlerins qui viennent en ziara (visite) au tombeau du saint a valu au ksar d'El-Abiodh-Sidi-Echeikh le surnom de Mekka du désert. C'est, en effet, un va-et-vient incessant de visiteurs qui accourent des quatre points cardinaux pour solliciter sa puissante intercession auprès du Dieu unique, et recueillir pieusement sous son tombeau une poignée de terre pour
en faire des heureux, talismans précieux ne manquant jamais leur effet quand la foi des pèlerins est suffisamment robuste. Cette terre possède d'ailleurs des vertus merveilleuses, aussi bien pour garantir les fidèles croyants de tout mal que pour préserver et guérir de toutes blessures les animaux domestiques ou les troupeaux. La profonde excavation qu'on remarque sous le tombeau du saint témoigne de l'énorme consommation qui en est faite, de la foi des ziar (visiteurs) dans les bienfaisantes propriétés de cette terre, laquelle est saturée, en effet, de tous les vivifiants effluves qui se dégagent, depuis deux cent soixante-quinze ans, des précieux restes du saint
Si Slimane Ben Hamza et Si Kadour oukd Ada l'agha de Saïda
L'illustration de Sidi Ech-Cheikh est d'un excellent rapport pour ses; descendants, car il n'est pas une famille dans le Sabra qui ne leur apporte annuellement son.offrande,.et cela indépendamment des dons en argent et en nature qui sont remis aux Nègres chargés de l'administration de la zaouïa de Sidi Ech-Cheikb, et de l'entretien de son tombeau. Pour ces derniers, c'est, au printemps, une brebis avec son agneau, ou un agneau seulement, suivant les ressources du donateur c'est une mesure de beurre et de dattes quand les caravanes reviennent du Gourara; ou bien une mesure de blé ou d'orge quand elles rentrent du Tell.
Dans bien des tribus même, plusieurs familles aisées se cotisent pour offrir un chameau. Les habitants des ksour donnent des chevreaux, et une dîme sur tous tes produits de leurs jardina. Les ksour du Gourara et. certaines autres tribus remplacent souvent leur offrande en nature par un don en argent de pareille valeur. En résumé, les descendants des Nègres que Sid! Ech-Cheikh avait chargés, à l'exclusion des membres, de sa famille, de la gestion des intérêts de son œuvre, se font ainsi un revenu annuel qui peut être estimé de soixante-dix à quatre-vingt mille francs. Aussi vivent-ils , largement, grassement de leur saint.
L'héritier de la baraka qui est toujours le chef de la famille des descendants de Sidi Ech-Cheikh, possédait,. avant 1864, c'est à dire antérieurement à la détection des Oulad-Sidi-Hamza, des magasins dans les principaux ksour de son khalifalik, .dépôts où ii entassait. pèle-mêle, et sans profit pour personne, les offrandes en nature des khoddam de son saint ancêtre:; c'étaient des capharnaüms où se gâtaient, se. pourrissaient rapidement tous ces biens de Dieu qui tombaient si inutilement du ciel, et dont faisaient un si pauvre usage les héritiers indignes de sid Ech-Cheikh
Entrée du ksar de Si Slimane
Sidi Ech-Cheikh fit un grand nombre de miracles: après sa mort, et; aujourd'hui encore, sa puissance thaumaturgique ne paraît pas s'être sensiblement affaiblie, car dans le Sahara, contrairement à ce qui se passe dans la vieille Europe , les dieux ne semblant pas. du tout disposés à s'en aller;:Sans doute, les miracles n'y ont plus le brillant , le prodigieux, le retentissant, le foudroyant de ceux d'autrefois mais, pour être plus modestes, ils n'en sont pas moins réels, patents, manifestes, indéniables: en effet, que de paralytiques ayant recouvré l'usage de leurs membres après un pèlerinage au tombeau du saint que de stériles devenues fécondes que d'impuissants redevenus puissants! que de chameaux perdus' retrouvés , que de maux guéris! que de souhaits exaucés et tout cela par l'effet évident de l'intercession du saint ami de Dieu ! aussi quelle averse d'offrandes sur la tête de ses descendants Car ils reçoivent tout et de toutes mains, ces saints à l'engrais, d'ailleurs si dégénérés, et ils trouvent aujourd'hui autant de valeur au douro du chrétien qu'à celui du plus pur musulman.
A quoi pense donc là-haut Sidi Ech-Cheikh, qu'il ne met pas un terme, par un bon miracle, au scandaleux gaspillage que fait des offrandes du Croyant son indigne descendance, et celle des Nègres affranchis à qui il a confié la garde de son tombeau?
Sidi Ech-Cheikh, nous le répétons, eut dix-huit enfants, dont les plus célèbres furent Sid iEl-Hadj-AbouHafs, Sidi Mohammed.Abd-AUah, Sidi El-Hadj-Abd-elHakem, Sidi Ben-Ed-Din,Sidi El-Hadj-ben-Ech-Chikh, Sidi Abd-er-Rahman. Le don des miracles ne se manifesta pas au même degré chez tous les enfants de Sidi Ech-Cheikh la tradition en a pourtant retenu quelques-uns attribués particulièrement à Sidi El-Hadj-Abou-Hafs, son troisième fils, et & son frère Sidi Mohammed-Abd-Allah.
Mausolée de sid Ech - Cheikh
El Abiodh Sid Ech-Cheikh (dix huitième siècle)
NB/ Récits recueillis par un officier français auprès de Si Slimane - Photos ajoutées par mes soins
RAH LEL BAYDA
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